La communauté désœuvrée
La communauté désœuvrée, de Jean-Luc Nancy, 1986.
Extrait n°1 : Mais l'individu n'est que le résidu de l'épreuve de la dissolution de la communauté. Par sa nature - comme son nom l'indique, il est l'atome, l'insécable -, l'individu révèle qu'il est le résultat abstrait d'une décomposition. Il est une autre et symétrique figure de l'immanence : le pour-soi absolument détaché, pris comme origine et comme certitude. Mais l'expérience que cet individu traverse, depuis Hegel au moins, et qu'il traverse, il faut l'avouer, avec une opiniâtreté sidérante, est seulement l'expérience de ceci : qu'il n'est l'origine et la certitude que de sa propre mort. Et son immortalité passée dans ses œuvres, son immortalité opératoire lui est encore sa propre aliénation, et lui rend sa mort même plus étrangère que l'étrangeté sans recours qu'elle "est" de toute façon. Au reste, on ne fait pas un monde avec de simples atomes. Il y faut un clinamen. Il faut une inclinaison ou une inclination de l'un vers l'autre, de l'un par l'autre ou de l'un à l'autre. La communauté est au moins le clinamen de l' "individu". Mais aucune théorie, aucune éthique, aucune politique, aucune métaphysique de l'individu n'est capable d'envisager ce clinamen, cette déclination ou ce déclin de l'individu dans la communauté. Le "personnalisme", ou bien Sartre, n'ont jamais réussi qu'à enrober l'individu-sujet le plus classique dans une pâte morale ou sociologique : ils ne l'ont pas incliné, hors de lui-même, sur ce bord qui est celui de son être-en-commun. L'individualisme est un atomisme inconséquent, qui oublie que l'enjeu de l'atome est celui d'un monde.
Extrait n°2 : Et la question de la communauté est désormais inséparable, pour nous, d'une question de l'extase