Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Comité stéphanois
25 juin 2013

La communauté désœuvrée

La communauté désoeuvrée (1986)

La communauté désœuvrée, de Jean-Luc Nancy, 1986.

Extrait n°1 : Mais l'individu n'est que le résidu de l'épreuve de la dissolution de la communauté. Par sa nature - comme son nom l'indique, il est l'atome, l'insécable -, l'individu révèle qu'il est le résultat abstrait d'une décomposition. Il est une autre et symétrique figure de l'immanence : le pour-soi absolument détaché, pris comme origine et comme certitude. Mais l'expérience que cet individu traverse, depuis Hegel au moins, et qu'il traverse, il faut l'avouer, avec une opiniâtreté sidérante, est seulement l'expérience de ceci : qu'il n'est l'origine et la certitude que de sa propre mort. Et son immortalité passée dans ses œuvres, son immortalité opératoire lui est encore sa propre aliénation, et lui rend sa mort même plus étrangère que l'étrangeté sans recours qu'elle "est" de toute façon. Au reste, on ne fait pas un monde avec de simples atomes. Il y faut un clinamen. Il faut une inclinaison ou une inclination de l'un vers l'autre, de l'un par l'autre ou de l'un à l'autre. La communauté est au moins le clinamen de l' "individu". Mais aucune théorie, aucune éthique, aucune politique, aucune métaphysique de l'individu n'est capable d'envisager ce clinamen, cette déclination ou ce déclin de l'individu dans la communauté. Le "personnalisme", ou bien Sartre, n'ont jamais réussi qu'à enrober l'individu-sujet le plus classique dans une pâte morale ou sociologique : ils ne l'ont pas incliné, hors de lui-même, sur ce bord qui est celui de son être-en-commun. L'individualisme est un atomisme inconséquent, qui oublie que l'enjeu de l'atome est celui d'un monde.

Extrait n°2 : Et la question de la communauté est désormais inséparable, pour nous, d'une question de l'extase : c'est-à-dire, comme on commence à le comprendre, d'une question de l'être considéré comme autre chose que comme l'absoluité de la totalité des étants. La communauté, ou l'être-extatique de l'être lui-même ? Telle serait la question.

Extrait n°3 : Et pourtant : le pur et simple effecement, sans restes, de la communauté est un malheur. Non pas un malheur sentimental, ni même éthique, mais c'est un malheur - un désastre - ontologique. C'est une privation d'être pour l'être qui est essentiellement et plus qu'essentiellement un être en commun. L'être en commun signifie que les êtres singuliers ne sont, ne se présentent, ne paraissent que dans la mesure où ils com-paraissent, où ils sont exposés, présentés ou offerts les uns aux autres. Cette comparution ne s'ajoute pas à leur être, mais leur être y vient à l'être. Aussi la communauté ne disparaît-elle pas. Elle ne disparaît jamais. La communauté résiste : en un sens, je l'ai dit, elle est la résistance même. Sans la comparution de l'être - ou des être singuliers -, il n'y aurait rien, ou plutôt il n'y aurait que l'être s'apparaissant à lui-même, même pas en commun avec soi, mais l'Etre immanent immergé dans une épaisse parence. La communauté résiste à cette immanence infinie. La comparution des êtres singuliers - ou de la singularité de l'être - maintient un écart ouvert, un espacement dans l'immanence.

Publicité
25 juin 2013

Essai sur le don

Essai sur le don (1925)

Essai sur le don, de Marcel Mauss, 1924-1925.

Extrait n°1 : Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus. D'abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s'obligent mutuellement, échangent et contractent ; les personnes présentes au contrat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s'affrontent et s'opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois. De plus, ce qu'ils échangent, ce n'est pas exclusivement des biens et des richesses, des meubles et des immeubles, des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n'est qu'un des moments et où la circulation des richesses n'est qu'un des termes d'un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent.

Extrait n°2 : Ensuite deux éléments essentiels du potlatch proprement dit sont nettement attestés : celui de l'honneur, du prestige, du "mana" que confère la richesse, et celui de l'obligation absolue de rendre ces dons sous peine de perdre ce "mana", cette autorité, ce talisman et cette source de richesse qu'est l'autorité elle-même.

Extrait n°3 : A propos du hau, de l'esprit des choses et en particulier de celui de la forêt, et des gibiers qu'elle contient, Tamati Ranaipiri, l'un des meilleurs informateurs maori de R. Eldson Best, nous donne tout à fait par hasard, et sans aucune prévention la clef du problème. "Je vais vous parler du hau... Le hau n'est pas le vent qui souffle. Pas du tout. Supposez que vous possédez un article déterminé (taonga) et que vous me donnez cet article ; vous me le donnez sans prix fixé. Nous ne faisons pas de marché à ce propos. Or, je donne cet article à une troisième personne qui, après qu'un certain temps s'est écoulé, décide de rendre quelque chose en paiement (utu), il me fait présent de quelque chose (taonga). Or, ce taonga qu'il me donne est l'esprit (hau) du taonga que j'ai reçu de vous et que je lui ai donné à lui. Les taonga que j'ai reçus pour ces taonga (venus de vous) il faut que je vous les rende. Il ne serait pas juste (tika) de ma part de garder ces taonga pour moi, qu'ils soient désirables (rawe), ou déagréables (kino). Je dois vous les donner car ils sont un hau du taonga que vous m'avez donné. Si je conservais ce deuxième taonga pour moi, il pourrait m'en venir du mal, sérieusement, même la mort. Tel est le hau, le hau de la propriété personnelle, le hau des taonga, le hau de la forêt. Kati ena. (Assez sur ce sujet.)"

25 juin 2013

La Conversation

La conversation (1998)La Conversation, de Lorette Nobécourt, 1998.

Extrait n°1 : Si vous ne saisissez pas immédiatement pourquoi il est plus important de se promener que d'aller voter je ne peux pas vous l'expliquer, je m'y refuse.

Extrait n°2 : Je suis née en 68, c'est moi la révolution, vous comprenez ? Mais qu'est-elle devenue ? Les jolies phrases ne peuvent plus rien, ce n'est plus valable. Quel dommage. Cela signifie que désormais, il faut dire les choses toutes nues. Et c'est bien difficile. D'autant que je ne suis pas sûre que quiconque soit prêt à les entendre. Chacun s'aime soi et soi seul. Ce n'est pas le monde que les gens souhaitent changer mais leur vie. Ce qui n'est pas du tout la même chose. Vous en conviendrez.

Extrait n°3 : A ce propos, je compte légiférer sur la libre circulation des corps et de la pensée, je vote la suppression des portillons du métro, des barrières pour les piétons le long des trottoirs, des vitres aux guichets, des sas de sécurité dans les banques, des tickets d'attente à la sécu et dans toutes les officines publiques et administratives, la dispersion des cinémas dans toutes les villes pour supprimer la concentration des métastases. Je réaffirme l'intégration de la mort à la vie contre l'assimilation de la vie à la mort. Mes maladies - et pas seulement les miennes - étant causées par des facteurs propres à cette société, je propose la suppression de cette société, ainsi que la destruction systématique et publique des toutes les caméras installées sur la chaussée et dans les immeubles, ainsi que toutes les espèces de justifications les concernant.

6 juin 2013

L'équarrissage

L'équarrissage (1997)

L'équarrissage, de Lorette Nobécourt, 1997.

Extrait n°1 : J'ai connu, à moins de trente ans, ce que d'aucuns ignorent peut-être toute leur vie : la fête est finie. Je suis pieds nus sur le carrelage et je vais prendre froid mais je ne peux plus me taire. Ce soir, je ne serai pas une carpe, c'est terminé. Cette nuit, je me pose comme je subjectif absolument, c'est-à-dire qui relève du sujet défini comme être pensant, bien que je n'ignore pas que nous sommes l'étoffe dont la société habille ses modèles.

Extrait n°2 : Je me sentais cadavre en sursis dans le cercueil du crâne, je contenais tout, toute ma parfaite vision du monde qui était moi, c'est-à-dire beaucoup plus qu'une poutre et seulement cela : poussière à venir, viande condamnée à disparaître.

Extrait n°3 : Je n'ai jamais connu qu'avec mes chairs, j'en ai pris possession, je ne délogerai la mort dans ma vie qu'à partir de mes sensations. Pour supporter mon étrangeté au monde je ne sais qu'une seule chose : mon corps. Le poulpe de la tristesse m'a engloutie au sortir de l'ignorance comme les bébés tortues au sortir du sable. Il ne sert à rien de changer de lieu, d'amour, de pays, de nourriture, de gymnastique, ces sortes de sortilèges ne fonctionnent pas de l'autre côté de la peau.

5 juin 2013

Commentaires sur la société du spectacle

Commentaire sur la société du spectacle (1988)Commentaires sur la société du spectacle, de Guy Debord, 1988.

Extrait n°1 : La discussion creuse sur le spectacle, c'est-à-dire sur ce que font les propriétaires du monde, est ainsi organisée par lui-même : on insiste sur les grands moyens du spectacle, afin de ne rien dire de leur grand emploi. On préfère souvent l'appeler, plutôt que spectacle, le médiatique. Et par là, on veut désigner un simple instrument, une sorte de service public qui gérerait avec un impartial "professionnalisme" la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, communication enfin parvenue à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu'ils en pensent.

Extrait n°2 : Quand le spectaculaire était concentré la plus grande part de la société périphérique lui échappait ; et quand il était diffus, une faible part ; aujourd'hui rien. Le spectacle s'est mélangé à toute réalité, en l'irradiant. Comme on pouvait facilement le prévoir en théorie, l'expérience pratique de l'accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande aura montré vite et sans exceptions que le devenir-monde de la falsification était aussi un devenir-falsification du monde.

Extrait n°3 : Tous les experts sont médiatiques-étatiques, et ne sont reconnus experts que par là. Tout expert sert son maître, car chacune des anciennes possibilités d'indépendance a été à peu près réduite à rien par les conditions d'organisation de la société présente. L'expert qui sert le mieux, c'est, bien sûr, l'expert qui ment. Ceux qui ont besoin de l'expert, ce sont, pour des motifs différents, le falsificateur et l'ignorant. Là où l'individu n'y reconnaît plus rien par lui-même, il sera formellement rassuré par l'expert. Il était auparavant normal qu'il y ait des experts de l'art des Etrusques ; et ils étaient toujours compétents, car l'art étrusque n'est pas sur le marché. Mais, par exemple, une époque qui trouve rentable de falsifier chimiquement nombre de vins célèbres, ne pourra les vendre que si elle a formé des experts en vins qui entraîneront les caves à aimer leurs nouveaux parfums, plus reconnaissables. Cervantès remarque que "sous un mauvais manteau, on trouve souvent un bon buveur". Celui qui connaît le vin ignore souvent les règles de l'industrie nucléaire ; mais la domination spectaculaire estime que, puisqu'un expert s'est moqué de lui à propos d'industrie nucléaire, un autre expert pourra bien s'en moquer à propos du vin. Et on sait, par exemple, combien l'expert en météorologie médiatique, qui annonce les températures ou les pluies prévues pour les quarante-huit heures à venir, est tenu à beaucoup de réserves par l'obligation de maintenir des équilibres économiques, touristiques et régionaux, quand tant de gens circulent si souvent sur tant de routes, entre des lieux également désolés ; de sorte qu'il aura plutôt à réussir comme amuseur.

Publicité
5 juin 2013

La Société du Spectacle

La société du spectacle (1967)

La Société du Spectacle, de Guy Debord, 1967.

Extrait n°1 : C'est l'unité de la misère qui se cache sous les oppositions spectaculaires. Si des formes diverses de la même aliénation se combattent sous les masques du choix total, c'est parce qu'elles sont toutes édifiées sur les contradictions réelles refoulées. Selon les nécessités du stade particulier de la misère qu'il dément et maintient, le spectacle existe sous une forme concentrée ou sous une forme diffuse. Dans les deux cas, il n'est qu'une image d'unification heureuse environnée de désolation et d'épouvante, au centre tranquille du malheur.

Extrait N°2 : L'illusion léniniste n'a plus d'autre base actuelle que dans les diverses tendances trotskistes, où l'identification du projet prolétarien à une organisation hiérarchique de l'idéologie survit inébranlablement à l'expérience de tous ses résultats. La distance qui sépare le trotskisme de la critique révolutionnaire de la société présente permet aussi la distance respectueuse qu'il observe à l'égard de positions qui étaient déjà fausses quand elles s'usèrent dans un combat réel. Trotsky est resté jusqu'en 1927 fondamentalement solidaire de la haute bureaucratie, tout en cherchant à s'en emparer pour lui faire reprendre une action réellement bolchevik à l'extérieur (on sait qu'à ce moment pour aider à dissimuler le fameux "testament de Lénine", il alla jusqu'à désavouer calomnieusement son partisan Max Eastman qui l'avait divulgué). Trotsky a été condamné par sa perspective fondamentale, parce qu'au moment où la bureaucratie se connaît elle-même dans son résultat comme classe contre-révolutionnaire à l'intérieur, elle doit choisir aussi d'être effectivement contre-révolutionnaire à l'extérieur au nom de la révolution, comme chez elle. La lutte ultérieure de Trotsky pour une IVe Internationale contient la même inconséquence. Il a refusé toute sa vie de reconnaître dans la bureaucratie le pouvoir d'une classe séparée, parce qu'il était devenu pendant la deuxième révolution russe le partisan inconditionnel de la forme bolchevik d'organisation.

Extrait n°3 : Du romantisme au cubisme, c'est finalement un art toujours plus individualisé de la négation, se renouvelant perpétuellement jusqu'à l'émiettement et la négation achevés de la sphère artistique, qui a suivi le cours général du baroque.

26 novembre 2012

En construction

Page livres en construction

Publicité
<< < 1 2 3
Publicité
Publicité