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Comité stéphanois
anti-terrorisme
4 décembre 2009

Pourquoi nous cessons de respecter les contrôles judiciaires

L'arrestation de Christophe, le 27 novembre, marque un palier dans la bouffée délirante d'Etat que l'on nomme pudiquement "affaire de Tarnac". Sa mise en examen situe le point où une procédure ne se poursuit qu'afin de se sauver elle-même, où l'on inculpe une personne de plus dans le seul espoir de maintenir le reste des inculpations.

En fait de "premier cercle", Christophe appartient surtout au petit nombre de ceux avec qui nous discutons de notre défense. Le contrôle judiciaire qui voudrait, pour l'avenir, lui interdire de nous voir est l'aberration de trop ; c'est une mesure consciente de désorganisation de la défense, aussi. A ce point de torsion de toutes les notions du droit, qui pourrait encore exiger de nous que nous respections ces contrôles judiciaires et cette procédure démente ? A l'absurde nul n'est tenu. Il n'y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu'elle est en dessous de tout. Au reste, une société qui se maintient par des moyens si évidemment criminels n'a de procès à intenter à personne.
La liberté sous contrôle judiciaire est le nom d'une sorte d'expérience mystique que chacun peut se figurer. Imaginez que vous ayez le droit de voir qui vous voulez, sauf ceux que vous aimez, que vous puissiez habiter n'importe où, sauf chez vous, que vous puissiez parler librement, au téléphone ou devant des inconnus, mais que tout ce que vous dites puisse être, un jour ou l'autre, retenu contre vous. Imaginez que vous puissiez faire tout ce que vous voulez, sauf ce qui vous tient à coeur. Un couteau sans manche auquel on a retiré la lame ressemble davantage à un couteau que la liberté sous contrôle judiciaire ne ressemble à la liberté.
Vous flânez sur un boulevard avec trois amis ; sous la plume des flics qui vous filochent, cela se dit : "Les quatre objectifs se déplacent en direction de..." Vous retrouvez après des mois de séparation un être qui vous est cher ; dans le jargon judiciaire, cela devient une "concertation frauduleuse". Vous ne renoncez pas, même dans l'adversité, à ce que toute amitié suppose de fidélité ; c'est évidemment une "association de malfaiteurs".
La police et sa justice n'ont pas leur pareil pour travestir ce qui tombe sous leur regard. Peut-être ne sont-elles finalement que cette entreprise de rendre monstrueux ce qui, aimable ou détestable, se comprend sans peine.
S'il suffit de ne se reconnaître dans aucune des organisations politiques existantes pour être "autonome", alors il faut bien admettre que nous sommes une majorité d'autonomes dans ce pays. S'il suffit de regarder les directions syndicales comme des traîtres avérés à la classe ouvrière pour être d'"ultragauche", alors la base de la CGT est présentement composée d'une série de dangereux noyaux d'ultragauchistes.
Nous désertons. Nous ne pointerons plus et nous comptons bien nous retrouver, comme nous l'avons fait, déjà, pour écrire ce texte. Nous ne chercherons pas à nous cacher. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu'il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Nous désertons la sorte de guerre privée dans laquelle la sous-direction antiterroriste voudrait nous engager à force de nous coller aux basques, de "sonoriser" nos appartements, d'épier nos conversations, de fouiller nos poubelles, de retranscrire tout ce que nous avons pu dire à notre famille durant nos parloirs en prison.
S'ils sont fascinés par nous, nous ne sommes pas fascinés par eux - eux que nos enfants appellent désormais, non sans humour, les "voleurs de brosses à dents" parce que, à chaque fois qu'ils déboulent avec leurs 9 mm, ils raflent au passage toutes les brosses à dents pour leurs précieuses expertises ADN. Ils ont besoin de nous pour justifier leur existence et leurs crédits, nous pas. Ils doivent nous constituer, par toutes sortes de surveillances et d'actes de procédure, en groupuscule paranoïaque, nous, nous aspirons à nous dissoudre dans un mouvement de masse, qui, parmi tant d'autres choses, les dissoudra, eux.
Mais ce que nous désertons d'abord, c'est le rôle d'ennemi public, c'est-à-dire, au fond, de victime, que l'on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c'est pour pouvoir reprendre la lutte. "Il faut substituer au sentiment du gibier traqué l'allant du combattant", disait, dans des circonstances somme toute assez semblables, Georges Guingouin (Résistant communiste).
Partout dans la machine sociale, cela explose à bas bruit, et parfois à si bas bruit que cela prend la forme d'un suicide. Il n'y a pas un secteur de cette machine qui ait été épargné dans les années passées par ce genre d'explosion : agriculture, énergie, transports, école, communications, recherche, université, hôpitaux, psychiatrie. Et chacun de ces craquements ne donne, hélas, rien, sinon un surplus de dépression ou de cynisme vital - choses qui se valent bien, en fin de compte.
Comme le plus grand nombre aujourd'hui, nous sommes déchirés par le paradoxe de la situation : d'un côté, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme cela, ni laisser le monde courir à sa perte entre les mains d'une oligarchie d'imbéciles, de l'autre, toute forme de perspective plus désirable que le désastre présent, toute idée de chemin praticable pour échapper à ce désastre se sont dérobées. Et nul ne se révolte sans perspective d'une vie meilleure, hormis quelques âmes sympathiquement désespérées.
L'époque ne manque pas de richesse, c'est plutôt la longueur du souffle qui lui fait défaut. Il nous faut le temps, il nous faut la durée - des menées au long cours. Un des effets principaux de ce qu'on appelle répression, comme du travail salarié d'ailleurs, c'est de nous ôter le temps. Pas seulement en nous ôtant matériellement du temps - le temps passé en prison, le temps passé à chercher à faire sortir ceux qui y sont -, mais aussi et d'abord en imposant sa propre cadence. L'existence de ceux qui font face à la répression, pour eux-mêmes comme pour leur entourage, est perpétuellement obnubilée par des événements immédiats. Tout la ramène au temps court, et à l'actualité. Toute durée se morcelle. Les contrôles judiciaires sont de cette nature, les contrôles judiciaires ont ce genre d'effets. Cela va bien ainsi.
Ce qui nous est arrivé n'était pas centralement destiné à nous neutraliser nous, en tant que groupe, mais bien à impressionner le plus grand nombre ; notamment ceux, nombreux, qui ne parviennent plus à dissimuler tout le mal qu'ils pensent du monde tel qu'il va. On ne nous a pas neutralisés. Mieux, on n'a rien neutralisé du tout en nous utilisant de la sorte.
Et rien ne doit plus nous empêcher de reprendre, et plus largement sans doute, qu'auparavant, notre tâche : réélaborer une perspective capable de nous arracher à l'état d'impuissance collective qui nous frappe tous. Non pas exactement une perspective politique, non pas un programme, mais la possibilité technique, matérielle, d'un chemin praticable vers d'autres rapports au monde, vers d'autres rapports sociaux ; et ce en partant des contraintes existantes, de l'organisation effective de cette société, de ses subjectivités comme de ses infrastructures.
Car c'est seulement à partir d'une connaissance fine des obstacles au bouleversement que nous parviendrons à désencombrer l'horizon. Voilà bien une tâche de longue haleine, et qu'il n'y a pas de sens à mener seuls. Ceci est une invitation.

Aria, Benjamin, Bertrand, Christophe, Elsa, Gabrielle, Julien, Manon, Mathieu et Yildune sont les dix personnes mises en examen dans l'affaire dite "de Tarnac".

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4 décembre 2009

Pourquoi nous cessons de respecter les contrôles judiciaires

L'arrestation de Christophe, le 27 novembre, marque un palier dans la bouffée délirante d'Etat que l'on nomme pudiquement "affaire de Tarnac". Sa mise en examen situe le point où une procédure ne se poursuit qu'afin de se sauver elle-même, où l'on inculpe une personne de plus dans le seul espoir de maintenir le reste des inculpations.

En fait de "premier cercle", Christophe appartient surtout au petit nombre de ceux avec qui nous discutons de notre défense. Le contrôle judiciaire qui voudrait, pour l'avenir, lui interdire de nous voir est l'aberration de trop ; c'est une mesure consciente de désorganisation de la défense, aussi. A ce point de torsion de toutes les notions du droit, qui pourrait encore exiger de nous que nous respections ces contrôles judiciaires et cette procédure démente ? A l'absurde nul n'est tenu. Il n'y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu'elle est en dessous de tout. Au reste, une société qui se maintient par des moyens si évidemment criminels n'a de procès à intenter à personne.
La liberté sous contrôle judiciaire est le nom d'une sorte d'expérience mystique que chacun peut se figurer. Imaginez que vous ayez le droit de voir qui vous voulez, sauf ceux que vous aimez, que vous puissiez habiter n'importe où, sauf chez vous, que vous puissiez parler librement, au téléphone ou devant des inconnus, mais que tout ce que vous dites puisse être, un jour ou l'autre, retenu contre vous. Imaginez que vous puissiez faire tout ce que vous voulez, sauf ce qui vous tient à coeur. Un couteau sans manche auquel on a retiré la lame ressemble davantage à un couteau que la liberté sous contrôle judiciaire ne ressemble à la liberté.
Vous flânez sur un boulevard avec trois amis ; sous la plume des flics qui vous filochent, cela se dit : "Les quatre objectifs se déplacent en direction de..." Vous retrouvez après des mois de séparation un être qui vous est cher ; dans le jargon judiciaire, cela devient une "concertation frauduleuse". Vous ne renoncez pas, même dans l'adversité, à ce que toute amitié suppose de fidélité ; c'est évidemment une "association de malfaiteurs".
La police et sa justice n'ont pas leur pareil pour travestir ce qui tombe sous leur regard. Peut-être ne sont-elles finalement que cette entreprise de rendre monstrueux ce qui, aimable ou détestable, se comprend sans peine.
S'il suffit de ne se reconnaître dans aucune des organisations politiques existantes pour être "autonome", alors il faut bien admettre que nous sommes une majorité d'autonomes dans ce pays. S'il suffit de regarder les directions syndicales comme des traîtres avérés à la classe ouvrière pour être d'"ultragauche", alors la base de la CGT est présentement composée d'une série de dangereux noyaux d'ultragauchistes.
Nous désertons. Nous ne pointerons plus et nous comptons bien nous retrouver, comme nous l'avons fait, déjà, pour écrire ce texte. Nous ne chercherons pas à nous cacher. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu'il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Nous désertons la sorte de guerre privée dans laquelle la sous-direction antiterroriste voudrait nous engager à force de nous coller aux basques, de "sonoriser" nos appartements, d'épier nos conversations, de fouiller nos poubelles, de retranscrire tout ce que nous avons pu dire à notre famille durant nos parloirs en prison.
S'ils sont fascinés par nous, nous ne sommes pas fascinés par eux - eux que nos enfants appellent désormais, non sans humour, les "voleurs de brosses à dents" parce que, à chaque fois qu'ils déboulent avec leurs 9 mm, ils raflent au passage toutes les brosses à dents pour leurs précieuses expertises ADN. Ils ont besoin de nous pour justifier leur existence et leurs crédits, nous pas. Ils doivent nous constituer, par toutes sortes de surveillances et d'actes de procédure, en groupuscule paranoïaque, nous, nous aspirons à nous dissoudre dans un mouvement de masse, qui, parmi tant d'autres choses, les dissoudra, eux.
Mais ce que nous désertons d'abord, c'est le rôle d'ennemi public, c'est-à-dire, au fond, de victime, que l'on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c'est pour pouvoir reprendre la lutte. "Il faut substituer au sentiment du gibier traqué l'allant du combattant", disait, dans des circonstances somme toute assez semblables, Georges Guingouin (Résistant communiste).
Partout dans la machine sociale, cela explose à bas bruit, et parfois à si bas bruit que cela prend la forme d'un suicide. Il n'y a pas un secteur de cette machine qui ait été épargné dans les années passées par ce genre d'explosion : agriculture, énergie, transports, école, communications, recherche, université, hôpitaux, psychiatrie. Et chacun de ces craquements ne donne, hélas, rien, sinon un surplus de dépression ou de cynisme vital - choses qui se valent bien, en fin de compte.
Comme le plus grand nombre aujourd'hui, nous sommes déchirés par le paradoxe de la situation : d'un côté, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme cela, ni laisser le monde courir à sa perte entre les mains d'une oligarchie d'imbéciles, de l'autre, toute forme de perspective plus désirable que le désastre présent, toute idée de chemin praticable pour échapper à ce désastre se sont dérobées. Et nul ne se révolte sans perspective d'une vie meilleure, hormis quelques âmes sympathiquement désespérées.
L'époque ne manque pas de richesse, c'est plutôt la longueur du souffle qui lui fait défaut. Il nous faut le temps, il nous faut la durée - des menées au long cours. Un des effets principaux de ce qu'on appelle répression, comme du travail salarié d'ailleurs, c'est de nous ôter le temps. Pas seulement en nous ôtant matériellement du temps - le temps passé en prison, le temps passé à chercher à faire sortir ceux qui y sont -, mais aussi et d'abord en imposant sa propre cadence. L'existence de ceux qui font face à la répression, pour eux-mêmes comme pour leur entourage, est perpétuellement obnubilée par des événements immédiats. Tout la ramène au temps court, et à l'actualité. Toute durée se morcelle. Les contrôles judiciaires sont de cette nature, les contrôles judiciaires ont ce genre d'effets. Cela va bien ainsi.
Ce qui nous est arrivé n'était pas centralement destiné à nous neutraliser nous, en tant que groupe, mais bien à impressionner le plus grand nombre ; notamment ceux, nombreux, qui ne parviennent plus à dissimuler tout le mal qu'ils pensent du monde tel qu'il va. On ne nous a pas neutralisés. Mieux, on n'a rien neutralisé du tout en nous utilisant de la sorte.
Et rien ne doit plus nous empêcher de reprendre, et plus largement sans doute, qu'auparavant, notre tâche : réélaborer une perspective capable de nous arracher à l'état d'impuissance collective qui nous frappe tous. Non pas exactement une perspective politique, non pas un programme, mais la possibilité technique, matérielle, d'un chemin praticable vers d'autres rapports au monde, vers d'autres rapports sociaux ; et ce en partant des contraintes existantes, de l'organisation effective de cette société, de ses subjectivités comme de ses infrastructures.
Car c'est seulement à partir d'une connaissance fine des obstacles au bouleversement que nous parviendrons à désencombrer l'horizon. Voilà bien une tâche de longue haleine, et qu'il n'y a pas de sens à mener seuls. Ceci est une invitation.

Aria, Benjamin, Bertrand, Christophe, Elsa, Gabrielle, Julien, Manon, Mathieu et Yildune sont les dix personnes mises en examen dans l'affaire dite "de Tarnac".

30 novembre 2009

« L’INSURRECTION QUI VIENT », CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET ALTERNATIVE EXISTENTIELLE

    Le texte qui suit n'est pas le fait du comité stéphanois, et nous tenons à préciser qu'il mérite évidemment d'être débattu. Il nous a toutefois paru intéressant de le proposer sur notre blog le plus tôt possible, afin justement de l'ouvrir à la discussion et aux diverses réponses qu'il est susceptible de recevoir. Nous proposerons nous-mêmes d'ici quelques temps un retour sur ce qu'il avance, la question identitaire nous semblant en effet se poser dans L'insurrection qui vient, mais pas nécessairement à la manière dont l'analyse l'auteur dudit texte - du moins ne sommes nous pas pleinement en accord avec ses "conclusions".

« L’INSURRECTION QUI VIENT »

CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET ALTERNATIVE EXISTENTIELLE

 

Ce texte n’est pas une étude critique des thèses exposées dans le livre L’insurrection qui vient, ni une tentative de « démontage théorique » de celui-ci. L’idée m’est d’abord venue de l’aborder ainsi, et je ne suis sans doute pas le seul. Bien des choses avancées dans ce livre pourraient en effet être discutées. Mais rapidement, j’ai eu le sentiment de l’inutilité de cette démarche. Ce sentiment, cette intuition plutôt était celle de l’impossibilité du dialogue avec ce livre, ou d’un dialogue toujours rompu en un point déterminé. J’ai eu le sentiment décourageant que ce texte ne pouvait pas être critiqué : il m’a semblé qu’autre chose était en jeu, qui n’était pas quelque chose dont on puisse discuter, pas une simple divergence de vues, que ce qui était central dans le texte n’était pas ce qui y était affirmé, mais l’affirmation elle-même.
Cette volonté rageuse d’affirmation, c’est ce qui donne sa force au texte, mais aussi sa raideur, c’est ce qui le rend imperméable au dialogue. Je n’y vois pas seulement un effet de style, mais une structure profonde, propre à tous les énoncés doctrinaux.
Il m’est donc apparu ceci : si l’IQV défend bien des idées, une vision du monde ou un projet politique, ce qu’expose ce texte est toujours conditionné par l’affirmation d’une identité. C’est sous cet angle que je l’aborderai.

L’identité et ses propriétés
Il n’est pas nécessaire de définir ce qu’est une identité pour la connaître, pas plus qu’il n’est nécessaire de définir un chat pour savoir ce qu’est un chat.
Un individu peut avoir des tics, c’est un individu ; mille individus qui ont les mêmes tics, cela peutêtre une coutume ou une épidémie ; mille individus qui défendent un tic, c’est une identité.
Une identité, c’est ce qui fonde un groupe en permettant à chaque individu qui s’y implique de se définir activement à travers elle. Pour l’individu, c’est une démarche de sujétion active qui lui permet de revendiquer cette identité. En retour, l’identité confère à l’individu le bénéfice d’un renforcement subjectif. Le bénéfice le plus simple est de pouvoir dire : « Je suis », et surtout « Je ne suis pas » ceci ou cela.
Une identité se distingue par des contiguïtés, des frontières, des confins. Il y a Nous et les autres, qui se définissent par rapport à Nous.
L’identité veut être repérable. D’où gestes, costumes, paroles et leur utilité directe : assurer la visibilité, le tranchant de l’identité. De ce point de vue, il est assez évident que les masques ne sont pas là pour cacher des visages, mais pour manifester une identité.
Une identité, ça ne résout rien, mais ça a réponse à tout. Face à tout problème, toute contradiction, toute mise en danger, elle réagit spontanément, avec pour seules finalités sa sauvegarde et son renforcement. Comment se distinguer, comment trancher, comment reconstituer autour d’elle l’ordre scénographique de son monde : elle répond à tout ceci avec la promptitude d’un réflexe vital.
L’ordre scénographique de son monde : aucune identité ne repose sur une simple vision du monde, mais sur une mise en scène active de celui-ci. Le monde est activement construit comme un récit, au sein duquel l’identité joue un rôle éminent ou tragique. L’identité déteste le superflu, l’indéterminé, ce qui ne permet pas de juger ou de prendre position. L’identité aime l’ordre. « Mettre de l’ordre dans les lieux communs de l’époque. »
Pour l’individu qu’elle habite, l’identité est toujours à construire. Quelque chose échappe toujours à la parfaite identification de l’individu : il y a toujours des failles, toujours de nouveaux renforcements à créer. L’identité est toujours une quête d’identité.
L’identité occulte l’ennemi sitôt qu’elle le fait paraître. Parce qu’elle le fait paraître selon ses propres besoins scénographiques, elle parvient à le désigner, mais pas à le connaître. Elle en polit aussitôt les aspérités contradictoires et superflues. L’ennemi n’est comme toute autre chose que prétexte à sa propre confirmation. L’identité, en ceci comme ailleurs, sélectionne.
L’identité, trouvant en elle-même tout ce dont elle a besoin, ne sent pas ses propres limites : elle est semblable en cela à l’alcoolique ou au drogué, gueule de bois et descente en moins. Une identité, c’est l’ivresse permanente du Moi.
Désir de l’unité du Moi, de la mise en conformité des idées et de la vie, horreur du doute et de l’informe, besoin d’affirmation, de cohérence, cohésion, contraction : identité.
Une identité ne peut, sans se mettre en danger, se connaître comme identité. Que les philosophes du XVIIIe siècle aient pu montrer les gestes de la religion comme des gestes, c’était la preuve d’une fêlure irrémédiable dans l’identité chrétienne. Et vice versa.
Une identité, objet social, a son utilité propre dans l’économie du social. En particulier, les identités marginales jouent un rôle de vaccin pour l’identité globale (la société), qu’elles aident à se redéfinir et à se renforcer. Le christianisme n’a pas survécu longtemps à la fin des hérésies qu’il a lui-même produites. Et vice versa.
L’identité est une réalité cognitive ancrée dans des individus, mise au service de besoins sociaux particuliers.
Etc., etc.

Au début était le Moi
Ce bref détour un peu aride et forcément incomplet par la description générale de ce que j’entends par le terme d’identité permet de saisir un peu mieux celle qui se manifeste dans l’IQV.
On comprend en particulier pourquoi elle est si attachée aux problématiques du Moi : c’est qu’elle a quelque chose à en faire. L’IQV est une offre d’identité. Elle se sent en mesure de proposer un projet de vie à des Moi à la dérive. Ce qu’elle offre, c’est moins un projet politique qu’une alternative existentielle.
Ce qui était explicite dans l’Appel, à savoir la volonté de constituer des groupes idéologiquement et existentiellement distincts et cohérents, se retrouve à l’état dilué dans l’IQV, dans une version « grand public ». Le propos est cependant toujours le même : convaincre, appeler, rallier. Le premier renforcement auquel songe l’identité, c’est le renforcement numérique. « On n’est pas assez nombreux » reste son perpétuel lamento. Il faut sans cesse convaincre, balayer les objections, acculer les autres groupes à la reddition : convertir.

Pour ce faire, pour rendre cette offre crédible et nécessaire, L’IQV trace d’abord le tableau d’un monde en ruines. Les sept cercles de l’Enfer ne sont pas de trop pour décrire cette ruine matérielle et spirituelle. Matérielle d’abord, et cela tout le monde le sait, les images de la catastrophe encombrent les écrans et les statistiques. Mais « spirituelle » surtout, car c’est bien la déliquescence supposée du sujet qui offre un espace propice à la reconstruction identitaire proposée. On ne rebâtit que sur des ruines. Et donc la première figure de l’enfer, c’est le Moi-tout-seul, le sujet isolé et sa fière devise, « I am what I am ». Et derrière lui, le sujet véritable, souffrant, inadapté, déprimé, qui ne se ressaisit de sa propre réalité que dans la révolte, c’est-à-dire dans l’endossement de l’identité proposée. « Rejoins-nous, et tu seras sauvé ».
Alternative existentielle, l’IQV a besoin de présupposer un « présent sans issue », afin de barrer le passage aux Moi qui seraient tentés de s’accommoder de cet insupportable monde, de s’y trouver des niches. Il leur faudra au contraire traverser avec dégoût les cercles de l’Enfer, afin de trouver le Paradis d’un projet, d’un but, d’une certitude : un choix de vie.

La traversée des cercles de l’Enfer et le projet auxquels elle mène relève de cette dynamique de récit propre à l’identité, conçue comme sujet actif et central du monde : c’est elle seule qui lui donne le sens dont il est par lui-même dépourvu.

Je ne manquerai pas de signaler au passage mon accord relatif avec la définition du Moi comme point de passage d’une expérience singulière et collective du monde, et la rapide critique du coinçage identitaire dont elle est assortie. Je regrette simplement que les conséquences n’en aient pas été tirées. Je regrette surtout que cette définition ne s’étende pas à ce qui détermine socialement le Moi, mais se borne à en faire une chose neutre, une subjectivité pure égarée dans un monde socialement indifférencié. Et l’oubli de tout ce qui fait que le monde est pour certains « Moi » moins ce qui les traverse que ce à quoi, perpétuellement, ils se heurtent.

Cependant, l’expérience singulière comme réalité du sujet disparaît très rapidement derrière la valorisation du « lien ». On ne l’a donc détaché un instant, le Moi, que pour lui flanquer la frousse, la peur du vide, et pour de nouveau lui proposer la fraternelle ligature. Le lien, le lien personnel s’entend, et non pas le bête « lien social » dont parlent les politiques, est ce qui est de nouveau proposé au Moi pris de vertige. Et qu’est-ce qui lie mieux qu’une identité particulière, restreinte, chaleureuse et de surcroît révolutionnairement extensible à tous, le Nous ?
Outil de conversion, L’IQV retrouve les bonnes vieilles méthodes de la prédication : faire peur d’abord, faire entrevoir l’enfer, et proposer ensuite une planche de salut. Méthode rhétorique, méthode de dressage et d’appropriation aussi ; faire sauter un bébé en l’air pour le rattraper aussitôt, menacer un ennemi pour lui tendre la main ensuite. Une identité est avant tout un processus de sujétion, et elle en connaît et en applique d’instinct tous les ressorts.

« Le bon moment, qui ne vient jamais »
Et naturellement, le Moi n’a pas le choix : consentir à continuer à vivre dans la couveuse anxiogène du monde tel qu’il est, c’est se condamner à périr avec lui. Puisque la cause est jugée : la Babylone mondiale est en voie d’effondrement. Dès lors, la seule alternative est périr avec, ou vivre contre. Enfin, de nouveau, « la liberté ou la mort ».
Nulle part n’est évoquée, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse, la possibilité que le capitalisme dure encore un peu, que son effondrement puisse être légèrement différé, ou peut-être si lent qu’il risque de prendre plusieurs siècles. Que ferons-nous dans ce cas ? Cette possibilité doit-elle influer sur notre action, ou est-il plus sage de n’en tenir aucun compte ? Dans quelle temporalité situons-nous notre action ? Naturellement, ces mesquins calculs rationnels puant le libéralisme répugnent à notre identité révolutionnaire, qui ne rêve que de brandir de nouveau « l’étendard de la bonne vieille cause » et de monter à l’assaut, dût-elle y périr.
Scénographiquement, pour une identité, des propositions du genre « ce n’est peut-être pas le bon moment » sont parfaitement nulles. Une identité ne se construit pas sur des scénarios du genre Désert des Tartares. Elle aime bien mieux entendre les clairons de la bataille. On ne constitue pas une identité sur des incertitudes.
C’est pourquoi il est bien inutile d’argumenter sur les difficultés pratiques ou le caractère inopportun de telle ou telle entreprise où l’identité se sera engagée : on ne discute pas de problèmes pratiques avec une identité qui a besoin de se manifester. Le possible et l’impossible, ça n’existe pas pour une identité, et c’est bien sa force, puisque c’est la force qu’elle cherche, son propre renforcement à travers celui des individus qui la portent. Elle ne s’ajuste pas au monde en fonction de réalités objectives.

Dire que le bon moment ne vient jamais, c’est dire qu’on ne sait jamais avec certitude si c’est le bon moment ou pas : il faut bien franchir le pas sans avoir l’assurance de réussir. C’est vrai, mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas tenir compte du moment, c’est-à-dire questionner le réel, et pas attendre qu’il réponde à nos désirs. Quitte à foncer dans le tas le moment venu.
Le « bon moment » pour les luttes ne dépend directement d’aucun des acteurs, il n’est soumis à la décision ou au choix d’aucun comité, invisible ou pas. En réalité, il est toujours l’objet d’un conflit. C’est vrai en particulier aujourd’hui, où les luttes sont de moins en moins dépendantes des partis et des syndicats, cherchent de plus en plus à se donner d’autres formes, sans doute pas plus « radicales », mais en tout cas moins saisissables. On en a vu l’exemple avec la lutte contre le CPE de 2006, où le mouvement censé être terminé après le retrait du CPE s’est tout de même étiré en longueur, parce que simplement tout le monde n’était pas d’accord pour s’arrêter là. Il a pourtant bien fallu s’arrêter, même à contrecoeur, parce que continuer aurait été absurde. Un mouvement social est aussi construit comme un récit, avec un début, un milieu et une fin. Il a donc, qu’on le veuille ou non, des moments. Pour reprendre l’exemple de 2006, son vrai bon moment aurait été de pouvoir continuer le « mouvement », alors que ça n’était « plus le moment ». Mais les « bons moments » viennent et passent ; ils ne dépendent pas seulement de nos choix. Il ne s’agit pas de céder à la mauvaise temporalité des mouvements sociaux qui ne veulent que rester ce qu’ils sont, mais de mettre en conflit cette temporalité.

« Le sentiment de l’imminence de l’effondrement »
La mort imminente du capitalisme, voilà bientôt deux siècles qu’on nous la prédit. Tous ceux qui ont désiré la fin du capitalisme ont aussi essayé d’en faire un destin historique. Dans les formulations marxistes, on a eu droit aux « contradictions mortelles », à la « décadence ». Voilà maintenant qu’il « s’effondre ».
L’Effondrement a ses caractéristiques : lorsqu’un bâtiment s’effondre, c’est que les matériaux qui le constituaient, et lui permettaient jusqu’ici de rester debout, se sont dégradés et corrompus, de telle sorte qu’ils ne le soutiennent plus. C’est un processus d’ensemble, d’abord lent et insensible, qui atteint une phase critique, et enfin une brusque accélération, où les parties encore solides cèdent sous le poids de celles qui sont totalement dégradées. On peut le diagnostiquer, mais pas en prévoir le moment précis.
C’est un processus d’ensemble, mais un processus de désolidarisation. Chaque pièce de l’ensemble se détache du tout, cesse d’en faire une unité organique. Du point de vue biologique, cela ressemblerait à la décomposition d’un corps.
Ce qui est dénié au capitalisme, et plus largement à tout le monde social, à travers la notion d’effondrement, c’est sa capacité à faire un tout cohérent.
À ce manque supposé de cohésion, l’identité oppose sa cohérence éthique propre, infiniment supérieure à cette chose informe. À cette désolidarisation s’oppose la solidarité, la densité des liens, voire l’imperméabilité du groupe.
À ces liens qui se défont, l’identité oppose la puissance des liens qu’elle réinstitue. Toute identité, club de supporters ou secte quelconque, a son moment scissionniste, qui est aussi bien celui de sa fondation.

Il est évident que dans cette conception le capitalisme (ou l’empire, ou comme on voudra) est conçu comme une chose, et comme une extériorité. Cela peut aussi être une machine, que l’usure de ses pièces finit par détruire.
La chose extérieure est bien ce dont une identité à besoin pour se constituer. Son souci de rejeter à l’extérieur tout ce qui n’est pas elle lui fait répugner à l’idée qu’elle puisse participer à ce qu’elle déteste. Le capitalisme, c’est l’ennemi. L’ennemi ne peut pas être en Nous, il est hors de Nous, c’est une extériorité, une chose.
Son destin d’effondrement décrit donc le capital comme extériorité pure, face à laquelle on n’est contraint que superficiellement, puisqu’elle ne saurait nous habiter ou influer sur nos choix autrement que de façon occasionnelle. Face à cela, la débrouille et les combines sont des réponses amplement suffisantes.
Le capitalisme est nié non seulement comme rapport social, mais comme rapport social contraint. Le fait que l’on puisse être obligé de travailler, et que là est bien le problème, est complètement occulté.
Si le capitalisme s’effondre, c’est aussi parce qu’il est devenu une fiction, à laquelle personne ne croit plus. Tous les efforts que fait l’empire pour survivre se limitent à ceci : maintenir la fiction de sa propre existence. Ce monde n’est pas réel, il fait semblant d’exister. C’est un néant, une abstraction, qu’il faut moins abattre que dissiper.

L’« imminence » de l’effondrement donne son cadre tragique aux aventures de l’identité : c’est la toile de fond, le décor de son récit. L’« imminence » inscrit ce récit dans une temporalité de l’urgence permanente. Le temps du monde ne s’écoule plus sans direction déterminée, au gré de fluctuations contingentes : il a un sens, et un sens tragique.
Si rien n’est dit de véritablement précis à propos de l’effondrement, c’est qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit réellement envisagé : ce qui importe, c’est bien le sentiment que l’on en a. La conviction de vivre dans cet effondrement renforce le besoin que l’on a de l’identité, pour dépasser la crainte de l’effondrement, y survivre, en faire l’opportunité d’un nouveau renforcement, voire d’une réalisation totale du contenu identitaire. Micro contrat social, l’identité garantit protection et salut à ceux qui y adhèrent.
Que l’effondrement ne vienne jamais, cela n’est pas un problème : on pourra toujours en décrypter les signes, à l’infini. Les millénaristes, qui cent fois ont prédit la date du Millénium et ne l’ont jamais vu arriver, ne se sont pas découragés pour autant. La foi, c’est-à-dire l’aveuglement collectivement organisé, les soutenait.

La « décomposition des rapports sociaux » est une idée très répandue. La plupart du temps, elle s’appuie sur la nostalgie des « vrais » rapports sociaux d’autrefois. Est supposé un temps meilleur, ou chacun avait sa place sociale déterminée, attribuée une fois pour toutes. Cette nostalgie un peu vague se superpose aujourd’hui à la nostalgie citoyenne des Trente glorieuses, d’un temps où l’État veillait paternellement sur nous.
La réalité est que le capitalisme entraîne une décomposition sociale perpétuelle, et que c’est sa façon de survivre. Il lui a fallu pour se constituer détruire un monde paysan millénaire, afin de créer un monde ouvrier qu’il entreprend aujourd’hui de détruire (c’est-à-dire de recomposer) à son tour, du moins dans les pays développés. Identifier cette dynamique de destruction vitale à un effondrement est un leurre, parce que cela renvoie le cours du capital à un processus naturel de décomposition, sans permettre de percevoir les enjeux qui sont engagés dans ce processus. On ne peut comprendre le sens d’une guerre simplement par la description des dégâts qu’elle occasionne. Dire « on a rasé Dresde » ne dit rien sur la Seconde Guerre mondiale. Dire « les rapports sociaux se défont » ne dit rien sur le capitalisme. Il faut encore montrer pourquoi ils se défont. Mais pour une identité, qui veut sans cesse polariser le monde selon les nécessités du récit qui lui permet de s’y engager, comprendre, c’est accepter. Le monde ne « cesse d’être supportable » que dès lors qu’il apparaît « sans cause ni raison ».
L’identité qui se constitue autour d’un refus considère comme une compromission le fait de tenter de comprendre ce qu’on refuse. Le refus suffit bien : à quoi bon tenter de comprendre ? Chercher à comprendre, c’est le début de la trahison. Il suffit de manifester son refus, sa révolte, et si l’on doit comprendre des choses, c’est seulement en vue d’alimenter cette révolte. Le reste est superflu.
Il y a bien des causes et des raisons au monde capitaliste, mais ce que sous-entend l’IQV, c’est que ces raisons sont folles, c’est-à-dire injustifiables. Que le capitalisme ne soit pas éthiquement justifiable ne lui ôte en rien sa réalité ni sa cohérence propre, pour notre malheur. Le refus éthique ne suffit pas. Les raisons du capitalisme ne sont certes pas les nôtres. Saisir ce que sont ces raisons est ce qui permet d’affirmer le caractère inconciliable de ce conflit, et de le situer avec précision.

« Ce qui se passe quand des êtres se trouvent »
Le tableau de désolation que l’IQV nous fait du monde finit par aboutir à une idylle. Soudain, des « êtres » se trouvent.
Ayant soigneusement barré le chemin à toute forme de regroupement qui ne serait pas elle, l’identité nous fait entrevoir la récompense. Enfin, nous serions des « êtres ». Pas des sujets sociaux, conflictuellement ancrés dans une classe, porteurs de contradictions, mais simplement des « êtres ».
Des « êtres » enfin défaits de tous liens, libres et indifférenciés, décapés de toutes les scories que l’existence sociale y a déposées. L’IQV dit les « êtres » comme l’humanisme dit l’Homme. Les « êtres » ont la transparence des anges et des belles abstractions. Ils peuvent prendre toutes les formes, se choisir librement. Enfin nettoyés de tout particularisme, ils sont prêts à endosser les habits neufs qu’on leur propose.
Le conflit étant rejeté à l’extérieur, il règne à l’intérieur une ambiance fusionnelle, étant acquis que ce qui se forme entre les « êtres » ne peut pas être un horrible « milieu », puisque les milieux ont été sévèrement critiqués. Le lien entre les « êtres » est d’une toute autre nature, pure et ineffable. L’identité ne peut se penser comme identité. On voit mal toutefois en vertu de quelle magie ces « êtres »-là échapperaient de la sorte à toute conflictualité, autrement que par la suspension de leur propre jugement critique.

Ce qui se dessine là, à travers la libre constitution des « êtres » en « communes », c’est la perspective d’une société entièrement pacifiée, transparente à elle-même, dépourvue d’antagonismes : le vieux rêve millénariste d’un communisme naturel, reposant sur l’idée d’une nature communiste de l’homme. Que ce soit sous la forme d’un Age d’or édénique, ou sous la forme anthropologique d’un « communisme primitif » qui prendrait sa source à l’aube du social, c’est toujours le communisme, l’égalité absolue entre les hommes, qui sont présupposés comme étant la véritable nature sociale des hommes.
On a ainsi tendance à valoriser la tribu, la bande, ou même la meute, censées être plus naturelles, plus véritablement sociales que les sociétés « complexes » du monde capitaliste.
Le « primitif » est censé ne pas avoir de problème d’identité : il est strictement ce qu’il est, c’est-àdire sa propre place au sein de la tribu. Il est défait du poids de sa propre singularité. Il est une identité pure, accomplie. Il est l’essence anthropologique de l’homme : le communisme.
Dès lors, la révolution n’est qu’un problème d’organisation matérielle : il suffit de couper l’herbe sous le pied à toutes les institutions de la société complexe pour que le naturel social revienne au galop : c’est tout de suite le communisme.
Le communisme, nature sociale de l’homme, s’est égaré en chemin au cours de l’histoire : il suffit de lui ouvrir la voie pour qu’il resurgisse aussitôt. L’exemple des catastrophes naturelles comme l’ouragan Katrina le montre : il suffit qu’une brèche s’ouvre dans l’organisation capitaliste pour que la « base » s’organise elle-même, retrouve ses instincts partageurs, se communise.
Mais le réel est certainement plus complexe. Si l’humain n’est pas la créature de Hobbes, celle de la guerre originelle de chacun contre tous qui fonde tous les contrats sociaux, s’il est immédiatement social, cette socialité ne se manifeste pas seulement par une tendance innée au partage. La tendance sociale à la domination, la structuration sociale autour de l’appropriation par quelques-uns du pouvoir et /ou des biens, et même celle à l’accumulation maniaque des biens, est bien plus ancienne que le capitalisme (auquel elle a sans doute ouvert la voie), et sûrement plus ancienne que l’homme lui-même. L’homme est un animal social comme les autres. Il y a des chefferies chez les grands singes aussi : le mâle dominant s’approprie la meilleure part de la nourriture et les femelles. Cela n’empêche pas l’entraide entre les individus du groupe. Simplement, pour des raisons ayant trait à la sélection naturelle, les dominants mettent d’emblée en place des dispositifs qui les rendent encore plus forts, et affaiblissent encore les faibles. Pourquoi l’homme serait-il par nature différent ?
Bien entendu, l’homme pense ses propres sociétés, et agit sur elles. Sa plasticité sociale est infiniment supérieure à celle de ses congénères non-humains. Il a un rapport à sa propre socialité. Mais ce rapport n’est pas simplement un rapport instrumental : il prend souvent l’aspect d’une idolâtrie. L’homme est la créature qui fétichise sa propre société. Et c’est le fétiche qui finit par prendre le contrôle de ses adorateurs. Une identité n’est rien d’autre que ce genre de fétiche.
Le communisme n’est pas une variante particulièrement avantageuse du contrat social. Défaisant les liens construits autour de l’appropriation, de la domination, de l’accumulation, du territoire, il ne défait pas seulement une société, mais l’être social lui-même. Ce que crée la communisation, c’est un monde au-delà du sacrifice de chacun socialement consenti au bénéfice d’un tout supposé : le social. Cette idée est aussi difficile à concevoir aujourd’hui qu’un monde sans Dieu au XIIIe siècle. L’idée d’un monde au-delà du social n’évoque spontanément que la barbarie ou la bestialité : elle fait peur, comme l’idée d’un monde sans Dieu aurait terrifié un chrétien du moyen-âge.
Une telle idée est manifestement dangereuse, et on voit bien tout ce qu’elle peut susciter de délirant. Il est clair que cette idée est propre à créer une panique irrationnelle, non seulement chez ceux qui y seraient opposés, mais encore chez ceux qui pourraient l’accepter. Une des manifestations de cette panique est la conception d’un état fusionnel entre les individus, ou d’une fusion des individus avec le social, c’est-à-dire une conception régressive du dépassement du social.

Nier le social dans la perspective de l’établissement d’un pur rapport fusionnel entre des « êtres », c’est vouloir dépasser le social en l’ignorant. La négation des classes sociales n’est pas la négation de leur existence, c’est au contraire à partir de leur existence conflictuelle qu’elle doit être pensée. Nier l’existence du capitalisme, des classes, des rapports sociaux est ce à quoi aboutit nécessairement cette construction identitaire qu’est l’IQV. Nous avons montré que la tendance au déni du réel est au coeur de toute identité, parce qu’une identité ne perçoit pas le réel, mais seulement sa propre existence comme identité. Elle s’affirme donc en déniant l’existence à tout ce qui n’est pas elle.
Mais nier l’existence du capitalisme ne le fera pas disparaître. Et cette négation même trouve ses racines dans la réalité du monde capitaliste, et en particulier dans sa réalité en tant que société de classes.

La complainte des classes moyennes (chanson réaliste)
En réalité, l’identité qui se pense comme universelle, et partant sans identité, c’est une certaine classe sociale : l’upper middle class occidentale. Elle est sans identité, parce qu’elle est la classe sociale étalon, le référent abstrait de toutes les autres classes, et donc de l’Homme en général. C’est ce qu’elle nomme « universalisme ». C’est bien elle qui est décrite, sans jamais être nommée, par l’IQV. C’est aussi, naturellement, vers elle (et contre elle) que l’IQV dirige son discours.
C’est elle qui ne perçoit la société que comme un « vague agrégat » d’institutions et d’individus, une « abstraction définitive ».
C’est elle qui ne voit dans toute la vie des « cités » que des policiers et de jeunes émeutiers.
C’est bien elle pour qui travailler signifie négocier et vendre au meilleur prix ce qui n’est plus « force de travail » mais compétence cognitive et relationnelle, et qui souffre logiquement de ce avec quoi elle travaille.
C’est elle qui cultive son précieux et problématique Moi à coups de développement personnel, de yoga et de psychanalyse.
C’est elle qui souffre de la « castration scolaire » et rêve, en son enfance, de brûler son école, parce qu’elle est la voie nécessaire de son intégration, et ne le fait pas, pour la même raison.
C’est elle encore qui, cernée de marchandises dont elle veut ignorer qu’elles ont bien dû être produites, trouve que le travail industriel est obsolète, les ouvriers surnuméraires et que l’économie est désormais « virtuelle ».
C’est elle seule qui existe politiquement, se soucie écologiquement et vote démocratiquement.
C’est elle aussi dont une partie de la jeunesse va se constituer en black blocs contre tous les G20 de la terre.
C’est elle enfin « la classe qui nie toutes les classes », non pas pour qu’elles disparaissent mais pour qu’elles existent à jamais.
Ceci dit non pour expulser cette classe hors du champ des luttes, mais pour montrer qu’aucune identité ne peut se situer hors d’un monde socialement déterminé.

« La joie d’éprouver une puissance commune »
Si ce texte a une utilité, c’est de parvenir à susciter un peu plus de méfiance envers les groupes que nous sommes amenés à constituer. Se rassembler est nécessaire. Mais trop souvent, le dicton selon lequel « qui se ressemble s’assemble » a tendance à se renverser. La question n’est pas de ne ressembler à personne, mais d’être attentifs à ne pas laisser une identité s’emparer de nous.
Ne pas laisser, par exemple, une identité nous mettre ses mots dans la bouche, ne pas se laisser séduire par la promesse d’obtenir une cohérence plus grande que celle que nous pourrions produire par nous-mêmes, au prix du renoncement à notre capacité de juger. Il faut se méfier aussi de la cohérence. Rien n’est plus cohérent ni mieux organisé qu’un cristal, dernier stade de la minéralisation, rien n’est plus mort aussi.
Aujourd’hui, l’identité promue par l’IQV se manifeste entre autres par l’essaimage de ses mots dans de nombreuses bouches : on entend « amitiés », « corps », « flux », « s’organiser », on sait ce qui parle, et on n’entend plus rien. On n’établit pas un langage commun avec des perroquets.
Mais il n’y a pas que l’IQV : si j’ai parlé en particulier de celle-ci, c’est qu’elle est suffisamment explicite et cohérente, et aussi assez largement connue pour en faire le point de départ d’une discussion collective. Il y a d’autres identités, celles par exemple pour lesquelles les mots « lutte des classes » et « guerre sociale » sont moins des questions qui se posent qu’autant d’étendards qu’on agite, pour mieux se distinguer de l’identité d’en face. La lutte entre les identités est littéralement sans fin.

Il est clair qu’aucun groupe isolé ne peut aujourd’hui s’abstraire du monde et réaliser le communisme dans son coin. Cela ne nous empêche pas, et nous le faisons déjà, de rechercher des pratiques anti-hiérarchiques, de questionner nos modes d’appartenance, etc. Tout en sachant que cela aussi peut se figer en coinçage identitaire.

On peut participer à un groupe sans pour autant s’y identifier. La fonction d’un groupe devrait être de donner plus d’autonomie à ceux qui y participent, de permettre le développement de leurs capacités. Le surinvestissement affectif dans un groupe finit trop souvent par ne créer que des dépendances, et par susciter d’affectueuses chefferies.
Un groupe n’est pas une fin en soi. L’amitié n’y est pas nécessaire. On peut se regrouper provisoirement pour une tâche précise, et à cette fin s’entendre, et le groupe peut n’exister qu’à cette fin précise, sans déborder pour autant sur d’autres domaines. Il y a des gens qui sont nos amis, avec lesquels on ne fait rien, que partager de bons moments, et d’autres avec lesquels on se regroupe pour accomplir une tâche, mener un projet, et qui ne sont pas pour autant nos amis. Le communisme n’est pas la communauté. Il n’y a pas à faire perdurer un groupe au-delà des fins pour lesquelles il nous est nécessaire.

Un groupe constitué pour des fins particulières peut même se permettre de se donner des « chefs », employés à des tâches précises. Pour manoeuvrer un trois-mâts, il est impératif que quelqu’un dirige la manoeuvre : c’est une question de coordination. Par contre, on peut se passer d’un capitaine, et prendre ensemble les décisions qui régissent la vie du navire, choisir la direction à prendre, etc.

Nous avons spontanément tendance à survaloriser nos groupes, et plus un groupe est marginal, plus cette survalorisation est intense. C’est un mécanisme essentiel du renforcement identitaire. Le déceler et s’en méfier, c’est déjà commencer à lui faire barrage.
De plus, la survalorisation identitaire de groupes marginaux (ce qui peut simplement vouloir dire « restreints ») les conduit à se marginaliser plus encore, les conduisant à devenir d’utiles repoussoirs pour l’ensemble de la société. Quelques punks consolident beaucoup de cadres. Et ceci n’est pas une erreur stratégique de la part des identités, mais est produit socialement : on finit par devenir ce que l’on veut que nous soyons. Tout groupe restreint court donc le risque de se changer en sa propre caricature, pour exister selon le mode socialement attendu de lui.

Se constituer d’emblée en sachant qu’on n’est qu’une partie d’un ensemble plus vaste, au sein duquel on existe au même titre que ceux qu’on considère comme ses ennemis, qu’on existe dans un monde ouvert et non pas polarisé selon les nécessités d’un récit, c’est une base sur laquelle on peut tenter de constituer des groupes qui ne se referment pas en identités. Exister dans les luttes qui le permettent sur cette base-là serait un bon début. Personnellement, il m’a semblé en voir une esquisse dans l’« AG en lutte » de la rue Servan, à Paris, en 2006.

Il est clair toutefois que l’enfermement identitaire est bien souvent ce à quoi nous restons socialement acculés. On ne peut qu’espérer que repérer cet enfermement, le rendre visible là où il s’opère, peut permettre de commencer à le rompre. S’en défaire complètement est l’objet d’une révolution communiste.

Alain C.

Le PDF du texte : pdf

Pour d’autres points de vue sur cette question, notamment en ce qui concerne « l’affaire de Tarnac » et ses suites, on peut lire le texte Contribution aux discussions sur la répression antiterroriste (voir ci-dessous), disponible sur Internet. Je souscris largement à ce qui y est dit, et je me suis donc dispensé de revenir sur des points qui y sont déjà traités.

29 novembre 2009

Contribution aux discussions sur la répressions anti-terroriste

    Ce texte est issu d’un processus de discussions collectives. Loin de se limiter à une critique de la défense publique des « inculpés de Tarnac », il affirme des positions sur les formes de luttes actuelles. Nous pensons continuer ce débat et élargir cette élaboration collective.
Envoyez vos textes, commentaires et autres contributions sur ce mail :
alleztrincamp@riseup.net.

 

 

    « Tarnac » est le nom d’une opération médiatico-policière qui a fait beaucoup de bruit. A cette occasion des discours publics ont été tenus par les comités de soutien, les proches ou certains inculpés. Discours qui, in fine, portent des positions politiques. Beaucoup de ces discours nous ont gênés, voire nous ont foutu la rage. Pour plein de raisons différentes. Nous en expliquons certaines ici pour clarifier et partager les discussions qu'on a pu avoir. Aussi, parce que les réflexions au sujet de Tarnac sont valables pour bien d'autres situations de répression et de lutte.

    Ce dont nous parlons dans ce texte, c'est du « discours public » concernant la répression, c'est-à-dire de ce qui se dit et s'écrit publiquement au-delà des aspects juridiques d’une affaire. Il ne s'agit pas du tout de parler ici de ce qu'on dit, ou pas, devant un juge. L’articulation entre les éléments juridiques et le discours public qu’on tient sur une affaire n’a rien d’évident, c’est un noeud toujours assez complexe. Pour autant, nous sommes persuadés qu’il est nécessaire de construire un discours public qui ne soit pas entièrement dicté par la défense juridique. Tout en gardant bien à l’esprit que les discours publics affirment des positions politiques qui vont audelà d’une situation particulière de répression.

    Face à la répression, pas facile de réussir à se positionner, à trouver comment construire un rapport de force face à l’Etat dans une situation où on est souvent affaibli. Ces questions ont toujours existé à l’intérieur des mouvements parce qu’on cherche à chaque fois des moyens de faire face à ces situations sans s’y perdre. Il nous semble pressant d’alimenter ce débat, de contribuer à élaborer des discours publics à tenir face à ces situations. Des discours qui ne soient pas en contradiction avec ce que l’on pense, ce que l’on porte, et qui puissent trouver écho chez d’autres personnes subissant elles aussi la répression.

    Nécessaire aussi de réfléchir aux modes de diffusion de nos discours. La stratégie médiatique autour de « Tarnac » nous pose problème, même si nous n’avons pas de position de principe contre le fait d'intervenir dans les grands médias. La plupart du temps, ce sont les médias qui ont toutes les cartes en main, et leurs intérêts ne sont jamais les nôtres. Lorsqu’ils ne relaient pas mot pour mot le discours de l’Etat, ils ne font au mieux que dénoncer certains abus d’un pouvoir tout en le légitimant. Ils s’emparent de certains aspects des affaires au gré de leurs intérêts politiciens et économiques. D’où l’importance de chercher des modes collectifs d’intervention dans les médias qui ne répondent pas à l’urgence des flashes TV et des unes quotidiennes. Et qui s’inscrivent dans le cadre d’un rapport de force permettant que le contenu de notre discours ne soit pas complètement altéré. Par exemple, perturber une émission radio en y intervenant en direct. Faute de quoi, mieux vaut utiliser nos propres moyens de communication et tenter de donner par nous-mêmes de la consistance à nos solidarités.

    Les discours publics qu’on tient doivent pouvoir être compris et partagés avec d’autres gens. D’où le besoin de se demander : sur quelles bases veut-on tisser des liens de solidarité avec des personnes accusées ? Si nous sommes solidaires, ce n’est pas parce que des personnes subissent des procédures dites exceptionnelles comme l’antiterrorisme, mais parce que l’antiterrorisme est un élément parmi d’autres de la justice de classe, cette justice qui oeuvre pour défendre les intérêts des possédants. Ce n’est pas non plus parce que des personnes accusées ont un mode de vie particulier, ni parce qu’elles appartiennent à une soi-disant « mouvance » (type « anarcho-autonome ») ; car ces entités renforcent les séparations. Au contraire, si nous sommes solidaires, c’est parce que des pratiques, des actes de révolte, qui appartiennent aux luttes, au mouvement social, sont attaqués. Le but étant de les rendre inoffensifs en les enfermant dans le cadre institutionnel.

* * *

ANTITERRORISME

    Certains n'ont pas manqué de critiquer l'usage de l'outil antiterroriste, en raison de la disproportion entre le moyen utilisé et la nature des infractions poursuivies en avançant, par exemple, pour « l'affaire Tarnac », qu'il s'agissait de simples sabotages et non d'attentats. D'autres ont remis en cause l'existence même de cette législation qui serait contraire aux principes du droit démocratique. Des personnes, enfin, voient dans l'antiterrorisme et dans l'état d'exception devenu permanent un véritable « mode de gouvernement ». Toutes ces critiques ont en commun de présenter cette juridiction comme un extraterrestre, une exception dans le droit. Pourtant, l’antiterrorisme se distingue moins qu’il n’y paraît des autres procédures juridiques.[1]

    Dans les cas de l'association de malfaiteurs, du trafic de stupéfiants, des bandes organisées… les gardes à vue peuvent aussi durer 4 jours[2], la préventive est difficile à éviter et souvent longue, les peines encourues sont alourdies. Ces pratiques de répression, présentées comme des juridictions d'exception, sont en réalité couramment utilisées. Par ailleurs, d’autres catégories construites par l’Etat subissent elles aussi une répression féroce. Par exemple, les sanspapiers peuvent subir un contrôle d’identité de 32 jours en centre de rétention. Ils peuvent aller en prison pour avoir refusé d’embarquer, puis retourner au centre de rétention avant d’être expulsés. Et dans les faits, la juridiction antiterroriste n'entraîne pas forcément une répression plus importante que les juridictions communes. Même en antiterrorisme, les gardes à vue peuvent durer moins de 6 jours, il arrive que des personnes sortent de préventive avant leur procès, et, si les peines encourues sont souvent très élevées, cela ne veut pas dire que les juges vont les appliquer telles quelles.

    Les procédures antiterroristes construisent des accusations sur la base d’intentions supposées, qu’elles soient ou non suivies d’actes. Précisons qu’en antiterrorisme comme dans tout le droit pénal, les intentions doivent toujours être étayées par des éléments matériels. Plus l’intention est prépondérante dans l’accusation, plus des éléments matériels anodins pourront être utilisés à charge. Ces derniers, pris isolément, ne constituent pas nécessairement des infractions. Ce peut être la possession d’un pic à glace, un coup de fil passé à telle personne, avoir de l’argent en liquide… Mais accuser une personne de se préparer à commettre tel ou tel délit avant même sa réalisation est une pratique courante dans tout le droit pénal. Ainsi une personne peut être inculpée de complicité dans la préparation d’un meurtre qui n’a jamais eu lieu. Les intentions sont toujours prises en compte dans les condamnations : homicide volontaire ou involontaire, intention, ou pas, de voler, dégradations volontaires…

    La spécificité de l’antiterrorisme tient dans le fait que le pouvoir attribue aux personnes accusées des intentions à caractère politique. Il s’agit, en France, d’avoir « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». En Europe, c’est, entre autres, « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ». Un même acte peut donc relever soit du droit ordinaire, soit du terrorisme.[ 3] Cette distinction repose seulement sur le type d’intention attribuée aux personnes inculpées : une infraction peut devenir un acte terroriste si les juges estiment que ses motivations sont politiques, au sens où elles s’attaquent à l’Etat dans ses fondements[4].

   

    À trop souligner les particularités de l'antiterrorisme, on risque, même sans le vouloir, d'enfermer les quelques centaines de personnes qui subissent cette répression dans un cercle restreint. De renforcer une catégorie dont le pouvoir souhaite l'existence : celle des « terroristes ». Or cette étiquette, comme bien d'autres, sert à isoler, à faire en sorte que la répression antiterroriste soit perçue comme quelque chose de très spécifique, ce qui empêche d'élargir la solidarité à d'autres situations de répression.

    Dans les imaginaires, le « terroriste », c'est l'homme sans visage toujours prêt à poser une bombe à clous au milieu de la foule. En réalité, les procédures antiterroristes correspondent à de multiples situations différentes, qui parfois n’ont d’ailleurs pas grand-chose à voir entre elles et sont dissemblables en leur sein même : des activités séparatistes basques ou corses, des actions contre les radars, des activités attribuées à ce que l’Etat résume sous les appellations « islamiste » ou « anarchoautonome »… Evidemment, personne ne s'appelle de lui-même « terroriste ». Ce sont les Etats qui collent cette étiquette à ce qui est pour eux opportun de réprimer à un moment donné. Au niveau international, en fonction d'intérêts géopolitiques fluctuants, des organisations peuvent entrer et sortir de listes noires de terroristes. L'ANC (African National Congress) de Nelson Mandela par exemple, a longtemps été classée terroriste par les Etats- Unis avant d'être encensée par tous les démocrates du monde. Les Etats montrent du doigt à certains moments quelques personnes, « ce sont des êtres monstrueux », et vident ainsi de leur sens politique d’origine des actions, des pratiques, des pensées. Ce n'est qu'une manière de désigner un ennemi intérieur à éliminer, contre lequel toute la population devrait se liguer. De fait, en disant « nous ne sommes pas des terroristes » ou « ces gens-là ne sont pas des terroristes », et, à un degré moindre, en disant « nous sommes tous des terroristes », on risque à chaque fois de réactiver et de valider la catégorie « terroriste » qui n'est profitable qu'aux Etats et à ceux qui les soutiennent. Il est problématique tant de se revendiquer du terrorisme que d’être prêt à tout pour s'en démarquer.

   

    Mieux vaut montrer comment cette figure de grand méchant loup est agitée pour faire peur et justifier un contrôle toujours plus fort sur tous : c'est le plan Vigipirate, ce sont les militaires dans les gares, le fichage de nombreuses personnes, les contrôles d'identité de plus en plus fréquents… L'antiterrorisme témoigne et participe de manière spectaculaire d’un durcissement plus général de la législation, réponse à l'accentuation des contradictions sociales. Loin d’être réservé à certaines procédures « d’exception », ce durcissement s’applique au quotidien dans les rues, les commissariats, les tribunaux et les taules : déploiements policiers, relevés ADN systématisés, peines plancher, bracelets électroniques, préventive généralisée, Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs…

    L’antiterrorisme est une des multiples formes de répression utilisées quotidiennement par le pouvoir. Elle obéit aux mêmes logiques : la classe dominante édicte les lois, décide de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas selon ses intérêts. L’appareil policier et juridique vise à maintenir l’ordre capitaliste en enfermant une partie des « classes dangereuses » pour mieux contraindre tous au travail. C’est pourquoi la justice condamne autant les actes que les profils sociaux des accusés, souvent en fonction de leur supposée dangerosité. Moins une personne a les moyens de présenter des garanties sociales et économiques, plus elle risque la prison. La justice doit reposer sur cette certitude selon laquelle les flics disent vrai et les pauvres sont coupables. On ne se fait de toute façon aucune illusion sur la possibilité de l’existence d’une justice équitable, d’un Etat de droit qui défendrait les intérêts de chacun. La procédure antiterroriste est à évoquer comme un des outils du pouvoir face à ce qui le met en cause, pour écraser, stigmatiser ceux qui ne se soumettent pas assez à son goût.[5]

 

NI COUPABLE, NI INNOCENT

    A la lecture d’articles de presse ou de rapports de police, on comprend que l’objectif est de construire soit des profils de coupables, soit des profils d’innocents. La question principale devient alors : « Est-ce qu’il ou elle aurait pu faire ou même penser à commettre tel ou tel acte ? ». Beaucoup ont dit pour ceux de Tarnac : « Libérez-les parce qu’ils sont innocents ». Il semble important de s’extraire de ces considérations de flics et de juges, de ne pas réclamer la libération de personnes sur la base de leur innocence, mais de demander leur remise en liberté indépendamment de la question de leur innocence ou de leur culpabilité. Question qui nous importe peu puisqu’elle ne conditionne pas l’expression de notre solidarité. Pour autant, critiquer l’interprétation à charge de certains faits peut être un enjeu important, par exemple remettre en cause l’appellation de « cellule invisible » utilisée par la justice pour parler des gens de Tarnac[6].

    Bien entendu, que des personnes solidaires réclament la libération des inculpés, qu’ils soient coupables ou innocents, n’empêche pas ces derniers de se défendre de leur accusation et de présenter au juge des garanties de représentation (un travail, un logement…). Mais mettre en avant publiquement des profils d’innocents nous conduirait à parler de la personnalité des accusés, de leur parcours de vie, de leurs habitudes, de leur situation… Ce qui non seulement est inintéressant, mais sousentend en plus qu’il y aurait deux catégories de personnes : « les gens biens », tellement gentils et intégrés qu’ils ne peuvent qu’être innocents, et les autres, évidemment coupables, la plupart du temps appartenant aux « classes dangereuses », c’est-à-dire aux classes populaires.

    En plus, s’affirmer solidaires sur la base de l’innocence des accusés et d’une dérive de la justice revient à sous-entendre que la justice devrait agir comme d’habitude, c’est-à-dire condamner les « coupables ». Au final, cela entérine le fonctionnement normal de la justice et en appelle à un Etat de droit.

    Enfin, il est problématique de dire que des personnes n’ont pas le profil, qu’elles n’auraient donc jamais pu commettre des actes qui nous semblent prendre part à la conflictualité sociale. C’est affirmer que les personnes n’ont ni le profil socio-économique, ni les idées, les pensées liées aux actes reprochés. Il est évidemment nécessaire de déconstruire le montage policier et médiatique, mais lorsque cela prend toute la place dans le discours public, c’est une position politique : un tel discours conduit, même indirectement, à se démarquer des actes de révoltes. Il risque donc de participer à la logique de l’Etat qui veut, en poursuivant un acte de révolte, discréditer plus largement ce type d’acte. Mieux vaut au contraire se montrer solidaires des actes de révolte et peu importe l’innocence ou la culpabilité des personnes inculpées.

QUI PEUT PAYER PEUT CHOISIR

    Dans le cas des inculpés de Tarnac, le discours sur l’innocentisme s’est doublé d’un discours sur les modes de vie. Des affiches de comités de soutien à Tarnac affirment : « Ce qui est attaqué ? Ce sont nos luttes, nos mots, nos modes de vie, nos armes, nos amitiés et la possibilité de s’attaquer à l’ordre des choses… ». La campagne de soutien aux inculpés de Tarnac a mis en avant cette question du mode de vie. On a beaucoup entendu : « soyez solidaires avec nous : si on est attaqué, c'est parce qu'on vit à plusieurs à la campagne ». Or nous ne pensons pas que l’Etat s’attaque aux personnes de Tarnac pour leur « mode de vie ». Cette position nous pose problème à différents niveaux.

    D’abord, dans de nombreuses affaires judiciaires, des modes de vie sont construits de toutes pièces. Pouvoir et médias créent l'image qui leur est utile. La caricature de la manière de vivre est la base de tout fait divers. Ainsi, les personnes de Tarnac seraient bizarres car elles vivraient collectivement à la campagne et n'auraient pas de téléphone portable. A l'inverse, l'homme accusé d'appartenir au Fnar (Front national armé révolutionnaire ou Front national anti-radar) serait étrange justement parce qu'il vivait isolé, qu'il habitait seul dans son appartement ! Répondre sur la question des modes de vie, c'est rester sur un terrain dont les médias sont friands sans jamais remettre en cause la portée politique de ces catégories, terrain qui évacue la question des rapports sociaux.

    Ensuite, parce que ce discours repose sur une séduction, celle de se voir comme un danger politique. Pourtant, aucun mode de vie n'est en soi subversif. Certes, nous avons besoin d’expérimenter à plusieurs des modes de vie et de repenser ici et maintenant les rapports (genre, exploitation, etc.). Ce peut être tout un tas de débrouilles, d'entraides, de solidarités au quotidien, pour s'en sortir mieux ou un peu moins mal. C’est aussi au cours de luttes des aspects du quotidien qui changent : tout à coup, on s'organise ensemble pour se procurer de la nourriture, pour improviser une cuisine dans l'endroit que l'on occupe, pour défendre cet endroit où l'on va aussi dormir... Pour autant, ce n'est pas parce que l'on mange, cultive, travaille ensemble, ou même possède une maison à 10, que l'on échappe ou attaque les rapports sociaux (c’est-à-dire la propriété privée, l’exploitation). Il n’est pas possible de vivre en-dehors du système capitaliste. Le modèle de l'alternative, cette petite bulle où l'on tente de vivre différemment entre soi, n'entrave en rien le fonctionnement du capital. Alors en faire un modèle politique qui serait la condition pour affronter l’ordre des choses… c’est au mieux une illusion naïve, au pire un mensonge. L’idée d’une existence indépendante de l’économie capitaliste qui pourrait servir de principe politique pour mener des attaques est un leurre. Une mystification qui risque de mener à des communautés closes, de renforcer des codes de l’entre-soi, et de créer des ghettos militants. Ainsi, dans une cour de promenade, un prisonnier dit, au sujet de Tarnac : « Y'a pas mal de leurs idées qui me plaisent, mais le problème, c'est que moi je peux pas vivre à la campagne ! »

    Ce discours sur le mode de vie relève en effet d’une manière très particulière d’aborder la politique qui nie les conditions réelles d'existence du plus grand nombre. C'est un point de vue où le moteur serait uniquement le choix : volonté de vivre à plusieurs plutôt que de travailler, d’avoir de l’argent ou au contraire de déclamer qu’il n’existe pas entre nous. Encore faut-il avoir les moyens de faire ce choix. Squatter un logement est souvent une nécessité et la plupart des gens essaient de subir le moins possible l'exploitation. Même si tout le monde fait des choix, c'est avec plus ou moins de marge de manoeuvre et avec des conséquences bien différentes. L’argent est justement ce qui permet de s’affranchir des nécessités matérielles, l’espace de respiration pour ne plus y penser. Le problème c'est de faire croire que la volonté serait moteur de toute chose, en niant le contexte, les situations sociales... Or cette position politique consiste justement à faire comme si tout le monde avait tout le temps la même liberté de choisir. « Cette posture [...] relève pour l’essentiel du régime de la liberté marchande : qui peut payer peut choisir »[7].

    Elle ne fait que fait que creuser les écarts existants. Elle reconduit les séparations entre les différents segments de classe qui peuvent se rencontrer au sein des luttes. Une telle rencontre n’a certes rien d’évident. Mais la position qui consiste à nier dans le langage les véritables séparations qui structurent la société ne permet pas de les dépasser dans la réalité. Au contraire, à force de les nier, elle les reconduit et risque d’approfondir un peu plus l’incompréhension entre les différents groupes sociaux qui sont amenés à se rencontrer et parfois à s’allier dans les luttes.

    Nous pensons au contraire que c’est parce que les séparations, les contradictions sociales sont permanentes que l'apparition de luttes est inéluctable. La rencontre entre les exploités devient alors possible et elle est ellemême un enjeu de la lutte. Rencontre entre tout ceux qui, communément exploités, ne le sont pas de manière égale.

SOIGNE TA GAUCHE

    La défense publique d’un mode de vie nous pose finalement problème en termes de tactique politique, c'est-à-dire dans les alliances qu’elle esquisse. Suivant une tactique double et opportuniste, le discours sur le mode de vie a été utilisé pour séduire, non seulement grâce à l’idée de constituer un danger politique, mais aussi en donnant à tout prix des gages de respectabilité, s’attirant ainsi la bienveillance d’une certaine gauche. Le discours sur le mode de vie devient alors un des opérateurs de sa recomposition.

    La récupération de l'affaire de Tarnac par la gauche est particulièrement flagrante. Alors que dès le second jour de l’affaire, les grosses centrales syndicales criaient à la provocation, et Sud[8] au terrorisme, celles-ci ont rapidement rejoint la cohorte des démocrates, des partis et des intellectuels de gauche, tous unis d’une seule voix pour dénoncer « les lois d’exception » incompatibles avec un « Etat de droit démocratique ». Les références au « déni de démocratie » sont même allées jusqu’à une pétition d’intellectuels publiée dans Le Monde appelant à la défense de cette sacro-sainte démocratie. Ceci a de quoi laisser perplexe tant derrière ce terme fourre-tout se cache en réalité un système politique qui mime la défense de l’intérêt de chacun tout en consacrant le pouvoir d’une infime minorité. Ce qui disparaît alors dans cette course à la respectabilité, c'est la possibilité même de créer des liens de solidarité avec tous ceux, qui, attaqués par l'Etat, ne peuvent ni ne veulent donner de tels gages de respectabilité. Avec tous ceux qui, de par leur condition, sont partie prenante de la conflictualité de classe.

VIEILLES CHIMÈRES

    Le discours sur le mode de vie crée de nouvelles séparations et s’avère d’autant plus incapable de casser les catégories créées par l’Etat : « jeunes de banlieue », « anarchoautonomes »... Depuis deux ans de façon récurrente, l'Etat dans ses déclarations médiatiques invoque les anarcho-autonomes comme responsables de « débordements » dans des luttes sociales.

    Durant le mouvement contre le CPE, les affrontements violents, notamment devant la Sorbonne, sont attribués dans la presse à des casseurs « anarchistes » ou « autonomes », nécessairement extérieurs au mouvement. La police et les journalistes expliquent que ces affrontements impliquant des milliers de personnes ont été décidés et dirigés par une poignée d'individus. Et c'est tout l'intérêt de la figure de l'anarcho-autonome : incarner à elle seule un ensemble de pratiques collectives illégales (tags, dégradations, affrontements...). Elle crédite aussi la thèse selon laquelle les mouvements sont toujours initiés et contrôlés par une force visible (comme les syndicats) ou obscure (en novembre 2005, les islamistes ont été présentés comme les incitateurs des émeutes de banlieue). Après l'incendie du centre de rétention de Vincennes en juin 2008, l'UMP accuse le Réseau Education Sans Frontières et les collectifs de sans-papiers d'être responsables des révoltes à l'intérieur des centres. De telles manoeuvres visent à extraire des luttes sociales certaines pratiques illégales en les attribuant à un extérieur. On voudrait nous faire croire qu’il ne resterait qu'une alternative : la contestation dans un cadre institutionnel ou le « terrorisme ».

    L'antiterrorisme n'est qu'un de ces outils dont dispose l'Etat pour contenir la contestation. Tentatives qui à terme semblent vaines, tant les révoltes relèvent d'un fait social qui ne se laissera jamais circonscrire à un groupe, un milieu ou une mouvance.[9]

SABOTAGE, BLOCAGE, CONFLICTUALITÉ

    En l'occurence, les personnes de Tarnac ont été accusées de sabotages, pratiques que l'on retrouve dans les mouvements sociaux et qui peuvent être l'expression de la conflictualité de classe. Dans cette affaire, on a vu les médias, syndicalistes et politiques effrayés à l'idée que les sabotages des lignes SNCF aient été faits par des cheminots. Quel soulagement lorsque la police affirme avoir arrêté les responsables, soi-disant membres d'une « cellule terroriste ». Rassurés, les représentants homologués du mouvement social se lâchent : « terrorisme » pour Sud Rail, « provocation » pour la LCR qui affirme que « ces méthodes-là n'ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais les nôtres ».

    A l'automne 2007, alors que les cheminots protestent contre la casse des régimes spéciaux, des sabotages sont commis sur les voies, contre des systèmes d'aiguillage et des bâtiments administratifs. En 2000, les ouvriers de Cellatex « négocient » le montant de leurs indemnités de licenciement en menaçant de déverser des produits toxiques dans la Meuse et de faire sauter l'usine. Les actes de sabotage sont monnaie courante au travail (vas-y-mollo contre les cadences, travail bâclé après une engueulade avec la hiérarchie, virus informatique balancé sur les ordinateurs...) et ailleurs : le collégien qui fout du chewing-gum dans la serrure pour se dispenser de son exposé de géo, l'automobiliste qui rend inutilisable un radar automatique.

    En tant que telles, les pratiques de sabotage n’ont rien d’une doctrine. Elles ne sont pas plus le fait d’excités ou de comploteurs, mais un moyen d’action pertinent (ou pas) au vu des enjeux et des situations. Un même gréviste de la RATP peut faire signer des pétitions, s’asseoir à la table des négociations, tout en s’assurant par le sabotage que les bus ne roulent pas. Dans les mouvements sociaux, cette pratique peut s’accorder avec d’autres types d’actions, comme les assemblées, les occupations, les blocages… qui toutes témoignent d’une recherche d’efficacité, et ne trouvent leur intérêt qu’en fonction du contexte. Considéré de manière isolé, le sabotage ne témoigne pas forcément de la radicalité d’un conflit, il ne s'accompagne pas nécessairement d'une remise en cause plus générale. Les « faucheurs volontaires » emmenés par José Bové ont usé de pratiques illégales dans le seul but de se constituer en lobby anti-OGM et de mieux réformer le droit. Se privant de toute critique du monde qui produit les OGM, il était bien entendu vain de penser pouvoir empêcher leur développement[10].

    Légalité ou illégalité ? La question ne se pose pas uniquement en ces termes. Lors des mouvements sociaux, on fait tout simplement ce qui dérange le plus ceux d’en face. « La légalité n’est pas une frontière infranchissable pas plus que l’illégalité une position de principe »[11]. D’ailleurs la légalité de certaines actions dépend très peu des gens en lutte. Une manifestation d’abord légale peut devenir immédiatement illégale sur simple ordre du préfet. Dans les mouvements sociaux, la recherche de formes de lutte efficaces est aujourd'hui d'autant plus pressante que l'arsenal anti-grève se durcit, notamment avec la mise en place du service minimum. Dans les médias, les grèves dans les transports ou l’éducation sont assimilées à des prises d'otages. En 2008, un président jubile (un peu trop vite) devant un parterre de patrons en affirmant : « désormais quand il y a une grève en France personne ne s'en aperçoit ». Le traitement policier et judiciaire des conflits devient la règle. La grève dans ses modalités légales arrive de moins en moins à toucher au portefeuille. Pour des revendications parfois minimes, ceux d’en face n’hésitent pas à utiliser tout l’arsenal du contournement (embauche de précaires, lock out[12]) pour vider les grèves de leur efficacité. Dans ce contexte, certaines pratiques comme les journées d’action et les « temps forts » syndicaux sont parfois désertées. Pas tant parce que ceux qui les initient, gauche et directions syndicales, sont contestées en tant que telles, mais parce que de plus en plus de gens concernés font le constat de leur inefficacité.

    D’autres pratiques, de fait illégales et qui ont toujours existé tendent au contraire à se multiplier : grèves sauvages, sabotages, blocages… Ainsi, depuis une quinzaine d’années, les blocages sont devenus en France un enjeu central des mouvements. Il y a évidemment dans la mémoire collective récente le souvenir de décembre 95. Pendant 2 mois pas un train ne roule, « le pays est de fait paralysé. Les métropoles prennent un visage inédit, les rapports sociaux, notamment de solidarité se transforment au quotidien »[11]. En 2003, cette question se repose (comme par exemple le blocage du bac) mais « les contre feux sont là. Les syndicats des transports parviennent à empêcher une extension de la grève aux salariés de la SNCF et de la RATP,[…], la rue a une apparence de normalité, ça roule »[11]. Les enseignements de ces défaites sont tirés par le mouvement du CPE et le mouvement lycéen de 2007 : les blocages des voies et des gares viennent se rajouter aux manifs sauvages. Plus récemment encore, en 2008, les grèves du fret (en Allemagne), grèves sauvages dans l’aviation (Alitalia en Italie)… Et ces pratiques dépassent largement la lutte des cheminots ou des transporteurs. Il suffit de penser aux blocages routiers qui ont fait rage en Guadeloupe… Ces pratiques de blocages ne sont évidemment qu’une des formes de la conflictualité sociale. Comme le disaient des jeunes de la RATP à Paris en 2007 « on veut pas faire une grève juste en mangeant des merguez dans notre dépôt »… Et c’était novembre 2005 qui était cité comme exemple du rapport de force. La conflictualité sociale déborde de toutes parts les médiations démocratiques (partis, syndicats, représentants et associatifs de tout bord) comme on a pu voir en France en novembre 2005 et plus récemment en Grèce à la fin de l’année 2008.

    Les mouvements sociaux et les émeutes ne sont pas les seuls moments d’expression de la conflictualité sociale... Ce système ne peut plus promettre l’amélioration des conditions d’existence, mais plutôt leur appauvrissement, comme le confirment encore récemment les conséquences de la crise financière. Dans ces conditions, n’importe quel point de cristallisation des conflits de classe, tels les résistances aux expulsions, aux licenciements, les affrontements avec les flics, sont des foyers aussi nombreux qu’imprévisibles. Logiquement, le pouvoir utilise la répression afin d'isoler ces différentes dynamiques. Lorsque des personnes, des groupes se font réprimer, c'est l'occasion de rappeler que, quels que soient les outils que l'Etat utilise pour attaquer des moyens de lutte, il le fait dans le cadre de la conflictualité de classe dans le but de contenir la contestation le plus largement possible.

* * *

    La défense du comité de soutien à Tarnac a organisé son discours public autour de deux points : la défense des inculpés qui seraient attaqués pour leur mode de vie alternatif et la mise en cause de ce qui est décrit comme un nouveau mode de gouvernement, ou une dérive du droit. Ce discours public est parfaitement représentatif des contradictions du cycle des luttes actuelles[13], qui s'expriment encore plus fortement au sein des classes moyennes. Et à bien des égards, ces discours semblent avoir été profilés à leur intention.

    Ainsi, le discours sur le mode de vie permet d’affirmer des nouveaux besoins (nouvelles formes de sociabilité, écologie...). Mais, loin d’une perspective communiste car il ne porte aucune critique de fond de la propriété, de l’exploitation et de l’Etat, il se traduit au final par une fuite dans l’alternative. De même pour l’illusion démocrate qui consiste à revendiquer l’abrogation des lois antiterroristes au nom de l’Etat de droit, en bon citoyen vigilant.

    En fait, il nous importe moins de dénoncer le machiavélisme raffiné de cette stratégie de défense que de pointer la contradiction sociale dont elle découle. Cette stratégie témoigne de la réelle crise de reproduction que vivent des pans entiers de la classe moyenne - assurés du fait que leurs enfants vivront moins bien qu'eux - et de leur attachement à un rapport de nature garantiste à l’Etat.

    Cet appel constant à « l'Etat providence » est le crédo dominant du cycle de lutte actuelle : s'enferrant dans la défense des droits existants et des acquis sociaux, les luttes et les mouvements n’arrivent pas à se dégager d’une stricte réactivité qui consiste à évoquer un contre modèle de stabilité et de sécurité incarné par l’Etat providence et l’Etat de droit. Cette limite s’inscrit dans le cadre de la défaite du mouvement ouvrier, de la restructuration qui s’opère à partir des années 70. Au sein des luttes, le sentiment d’appartenance à la classe s’efface progressivement au profit de la figure du citoyen.

    Face à l’appauvrissement des classes populaires au profit du capital et au renforcement de l'arsenal juridique, il ne s’agit pas de délaisser le champ des luttes revendicatives ou de dire que toutes les législations se valent. Il s’agit de prendre acte de l’offensive du capital et de la combattre, sans pour autant s’enfermer dans une défense de l’Etat providence, qui est le prolongement étatique de la restructuration du capital après-guerre.

    L’enjeu est de taille car une véritable chape de plomb doctrinale se constitue, prenant notamment appui sur des slogans tels que « nos luttes ont construit nos droits ». Or, ces droits n'ont pas été « conquis de haute lutte » ; ils formalisent un rapport de force à un moment précis (souvent la fin d'une lutte) entre deux positions aux intérêts antagoniques. On fait du droit tel qu'il est le but des luttes sociales passées et non leurs limites mises en forme par l'Etat et le Capital. Cette illusion rétrospective établit que la somme des victoires de la lutte des classes n'est pas autre chose que l'édification lente, laborieuse et linéaire de codes juridiques. Certes des protections, des garanties ont été mises en place à l'issue de ces luttes, mais il s'agit d'avantages restreints et d'aménagements de l'exploitation. Et cela s'est fait au prix du désarmement de l'offensive et reste bien en deçà de ce qui s'y jouait : l'élaboration de solidarités de classe, de pratiques collectives et de contenus subversifs et révolutionnaires.

    Les luttes, concrètement, n'ont pas pour objet des droits. Si la Bastille a été prise, ce n'était pas pour obtenir le droit de vote mais parce que c'était un dépôt d'armes. De même, si les mal logés sont en lutte, c'est avant tout pour avoir un logement. La revendication du « droit au logement » est toujours le fait des associations et des partis qui viennent se poser comme seuls médiateurs crédibles et font carrière en négociant par-dessus la tête des collectifs.

    Cette position qui réduit tout à la défense du droit empêche donc la ré-appropriation de formes de luttes qui n'ont jamais été inscrites dans le droit mais qui ont toujours appartenu aux mouvements comme la grève sauvage, les auto-réductions, les ré-appropriations collectives ou le sabotage. Nous laissons aux adorateurs du code du travail le choix d'inscrire dans les textes juridiques le droit au refus du travail, à la grève sauvage, à la destruction de machines, au sabotage, à la bastonnade des petits chefs, à l'incendie des usines et à la défenestration des patrons.

    Voir dans le droit la finalité de toutes les luttes passées et présentes, empêche tout renversement de perspective qui viserait la critique de l'Etat, de la démocratie et de la propriété privée, non pour les réformer ou les fuir dans un prétendu « en-dehors » mais pour les abolir. S'affirmer solidaires d'actes dénoncés comme irresponsables alors qu'ils ont toujours été des outils de la lutte de classes, réaffirmer par là leur contenu politique et leur appartenance à la conflictualité de classe va dans le sens de ce renversement de perspective.

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1. Nous reprenons ici une grande partie des analyses du texte de Léon de Mattis, « L’antiterrorisme n’est pas une exception », janvier 2009, disponible sur http://www.leondemattis.net.

2. Juridiquement, en antiterrorisme, les gardes à vue peuvent durer jusque 6 jours. Mais, la plupart du temps, elles durent 4 jours ou moins.

3. En Espagne, la loi dit que « tout travail en faveur de l’indépendance d’une partie du territoire, même non violente » est traité comme un acte terroriste.

4. Une spécificité propre à l’antiterrorisme concerne la composition des cours d’assises. Ce sont uniquement des magistrats professionnels, dont il est plus aisé d’anticiper le verdict, et non un jury populaire, qui composent les cours d’assises en matière antiterroriste.

5. Sur ces questions, voir « Danse avec l’Etat – Dénoncer l’exception jusqu’à en oublier la justice », mars 2009, L’Envolée no 25, disponible sur http://reposito.internetdown.org/chroniques/danse.pdf.

6. Lors d’une conférence de presse, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, affirme que les « 9 de Tarnac » appartiennent à une organisation terroriste qu’ils nomment eux-mêmes « Cellule invisible ». En réalité, l’accusation a repris la signature « Comité invisible » d’un livre attribué par les flics à Julien Coupat en remplaçant le mot « comité » par celui de « cellule », terme généralement utilisé pour désigner un groupe membre d’une organisation terroriste. Cette manipulation grossière a ensuite été reprise en coeur par les médias.

7. « Un autre emploi de l’argent », mai 2005, Meeting 2, disponible sur http://meeting.senonevero.net.

8. Dès le 12 novembre, Christian Mahieu de Sud Rail a cru bon de mettre en garde « ceux qui frisent la diffamation en voulant confondre terrorisme et action syndicale ».

9. Sur cette question, voir le texte de Léon de Mattis, « Anarcho-autonome », décembre 2008, dans Mauvaises intentions 2, disponible sur http://infokiosques.net/mauvaises_intentions.

10. Nous faisons la distinction entre les actions spectaculaires des faucheurs volontaires visant à instaurer un dialogue avec l’Etat et les nombreux actes de sabotages anonymes de champs d’expérimentation.

11. La caténaire qui cachait la forêt, novembre 2008, texte disponible sur le site www.collectif-rto.org.

12. Lors d'un conflit social, la direction choisit de fermer l'usine, et lorsque c'est possible, elle externalise la production.

13. Le texte de conclusion a été en partie influencé par « Le grondement de la bataille et la plainte des pleureuses », avril 2006, Meeting 3, disponible sur : http://meeting.senonevero.net.

25 novembre 2009

Communiqué suite à l’arrestation du mardi 24 novembre 2009 au matin

    Ce matin à 6H30, la SDAT s’est permise de procéder à une nouvelle arrestation parmis les "proches" des inculpés. Le Juge Fragoli nous avait presque fait couler une petite larme la semaine dernière en se targuant, dans Libération, de procéder dans ce dossier avec toute l’"humanité" dont il était capable. Il aura, ce matin encore, fait montre de la finesse que nous lui connaissions : 15 gros malins de la SDAT pour défoncer une porte et braquer deux enfants de 4 et 6 ans dans leur lit. Tout cela afin d’interpeller une personne qui avait déjà été arrêtée le 11 novembre 2008, à partir d’éléments du dossier plus que fantasques et en leur possession depuis le premier jour.

    Evidemment, nous comprenons ce qui est en oeuvre ici. Alors que les deux éléments centraux de leur accusation, à savoir la filature de Julien et de Yildune et le témoignage sous X, ont été largement balayés par des révélations récentes, les tristes clowns continuent leur fuite en avant, usant de prétextes toujours plus risibles afin de faire diversion. Il est à noter que le juge Fragoli, encore et toujours lui, aurait déclaré à des journalistes qu’il ne procéderait pas à une reconstitution de la soit-disante nuit des sabotages. Il semblerait donc définitivement vouloir couvrir ce qui, chaque jour un peu plus, ressemble à des faux réalisés par la SDAT. Souhaitons lui bonne chance, il en aura bien besoin.

    Par delà cette pathétique tentative de diversion, nous voyons une fois de plus ce que l’anti-terrorisme permet et se permet. Comme lors des deux vagues d’arrestations précédentes, des amis des inculpés sont arrêtés en pleine rue ou en plein sommeil pour subir 96 H de garde à vue et donc de pression et d’humiliation. La démocratie ça se maintient comme ça peut.

    Nous interprétons cette nouvelle tentative d’intimidation comme la seule réponse qu’ait trouvée Mr Ragnoli a l’effondrement de son instruction. Gageons que les semaines à venir nous permettent de définitivement en finir avec cette farce, comme avec sa carrière.

Source : Soutien 11 novembre

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25 novembre 2009

La police cherche les organisateurs de la manifestation du 21 juin à Paris.

    Ce matin (jeudi 5 novembre), vers 6h, la police est venue perquisitionner un appartement à Rouen. Elle a embarqué une personne pour une audition. Les policiers (de la SRPJ de Paris) recherchent apparemment les organisateurs de la manifestation du 21 juin à Paris. Plusieurs centaines de personnes avaient manifesté ce jour-là dans le quartier des Halles. De nombreux manifestants étaient masqués, et au passage devant le siège de l’administration pénitentiaire les vitres de ce bâtiment avaient été brisées. En réponse la police avait gazé. Lors de la dispersion plusieurs personnes avaient été arrêtées et frappées au sol.

    Les policiers sont venus dans cet appartement rouennais car c’est depuis celui-ci qu’avait été créée la boîte mail du comité de soutien local. C’est l’opérateur Gmail qui a fourni ces informations à la police. La personne arrêtée est ressortie sans aucune charge contre elle. Les policiers semblaient plutôt rechercher des informations sur deux personnes : un certain Vincent et un certain Julien. Nous ne connaissons pas ces personnes aussi, si elles se reconnaissent : faites attention, camarades. Une instruction est ouverte pour "dégradations", "violences à agent" le tout en "bande organisée".

    Quelques jours après la divulgation de nouveaux éléments dans l’affaire de Tarnac, tendant à montrer que la filature de Julien et Yldune par la SDAT avait été entièrement bidonnée par les policiers, voilà donc la réponse des policiers : s’en prendre à nouveau aux comités de soutien. Minable. Et insuffisant.

Source : Soutien 11 novembre

4 novembre 2009

Tarnac : la contre-enquête qui dérange

La défense pointe les anomalies et les contradictions des procès-verbaux de la police.

    Une enquête au point mort. Et aujourd’hui, une contre-enquête. Depuis un an, l’enquête du juge antiterroriste Thierry Fragnoli sur les sabotages des lignes TGV dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 n’a pas permis de découvrir d’éléments matériels confirmant l’implication des neuf jeunes installés à Tarnac, en Corrèze. Ils sont tous, à ce jour, mis en examen pour «association de malfaiteurs, destructions et dégradations en relation avec une entreprise terroriste». Julien Coupat étant poursuivi pour «direction ou organisation» du groupe.

    L’enquête n’est pas allée au-delà des premières constatations qui incriminaient Julien Coupat : sa présence en compagnie d’Yildune Lévy à proximité d’une voie sabotée, la nuit des faits. Dans une note qui doit être transmise au juge aujourd’hui, les avocats de la défense, Mes Thierry Lévy, Jérémie Assous et William Bourdon, contestent désormais les premiers éléments recueillis. Les avocats rappellent que Yildune Lévy et Julien Coupat ont été «suivis de manière continue depuis leur départ de Paris dans la matinée du 7 novembre jusqu’à leur retour dans la capitale, dans la matinée du 8 novembre». «Leur participation à ces faits», qu’ils contestent, «ne devrait pas faire de doute». «Or non seulement le doute existe, notent-ils, mais les incohérences et les anomalies dont sont émaillées les constatations des enquêteurs amènent à s’interroger sur leur crédibilité

 

    Des traces de semelles et de pneus qui ne collent pas

    Dès le 8 novembre, un technicien en identification criminelle de la gendarmerie effectue des relevés. «Le site et les voies ferrées sont protégés par une clôture métallique mesurant environ deux mètres, surmontée par un fil de fer barbelé», note Cyril C. Les portails grillagés qui permettent d’accéder au site sont intacts. Mais à droite de l’entrée nord-ouest, le grillage garde «plusieurs traces d’effractions». Il a été sectionné. De l’autre côté de la voie, des traces d’escalade sont visibles.

    Le gendarme constate aussi «la présence de traces de pneumatiques laissées par un véhicule ayant effectué un demi-tour». Il mesure. Largeur du pneu : 153 millimètres ; distance séparant l’intérieur de deux côtés opposés : 1 190 mm. Or ces traces ne peuvent correspondre à la voiture utilisée par Coupat. Les pneus de la Mercedes 250 qu’il utilisait sont larges de 200 mm, et la distance entre les roues de 1 300 mm.

    L’homme de la police scientifique découvre aussi «la présence sur ce même chemin de deux traces de semelles de chaussures». «Une trace indexée 13, longue de 245 mm» ; et une autre «indexée 14, longue de 200 mm». Or Coupat chausse du 45, ce qui correspond à une longueur de 307 mm, et Yildune Lévy du 39, soit 260 mm. Suivant les traces, le gendarme reconstitue «un cheminement montant» au sein de «l’emprise SNCF», ce qui lui permet de déduire l’itinéraire des saboteurs. Après être entrés par le portail nord-ouest et avoir circulé sur la voie, ils sont sortis en escaladant le portail nord.

    L’avis des avocats.«Les constatations du technicien ne sont pas compatibles avec celles de la surveillance. Les traces de pneumatiques et de semelles de chaussures ne peuvent correspondre ni aux pneus de la voiture surveillée ni aux chaussures des occupants

 

    Une filature en question

    Revenant sur la nuit du 7 au 8 novembre, Julien Coupat dira s’être «senti suivi» dès qu’il s’est «engagé sur des petites routes». «J’ai dû m’arrêter une dizaine de fois et faire autant de demi-tours, a-t-il dit. Il y avait quasiment un caractère de jeu à s’arrêter et à voir venir les voitures en reconnaissance.» Selon les policiers, le couple aurait circulé, le 7 au soir, sur la départementale 23 qui relie les villages de Dhuisy et de Germigny-sous-Coulombs (Seine-et-Marne) et qui passe sous la ligne TGV qui sera découverte sabotée. Après avoir mangé, et dormi quelques heures dans la voiture, au Trilport, à trente kilomètres de là, ils seraient revenus sur la même route. «Le 8 novembre, à 3 heures 50 minutes, constatons que le véhicule allume ses feux et démarre en direction de la Ferté-sous-Jouarre. Il chemine à allure normale sur la RN3, indique le procès-verbal de la SDAT. Le véhicule emprunte dans Dhuisy la direction Germigny, après un kilomètre il oblique à gauche dans la voie dans laquelle il avait été observé précédemment (près de la ligne TGV). Il est 4 heures.» Ce minutage sera repris dans d’autres procès-verbaux.

    L’avis des avocatsSelon le procès-verbal, il s’est écoulé dix minutes entre les deux points de stationnement.L’itinéraire emprunté entre les deux arrêts est également indiqué. Or la distance parcourue étant de 26,6 kilomètres, la vitesse moyenne de la voiture aurait dû être de 159,6 km/h. La voiture surveillée n’a pas pu parcourir la distance indiquée entre Trilport et le lieu des faits dans le laps de temps indiqué

 

    Des procès-verbaux discordants

    La voiture de Coupat, un vieux modèle de Mercedes, se serait donc arrêtée à proximité de la voie TGV. Coupat n’a pas confirmé ce lieu de stationnement lors de sa garde à vue. Et le juge ne l’a pas interrogé sur ce point. Coupat a déclaré être retourné à «l’un des endroits les plus reculés, à l’écart de tout, en pleine campagne», pour y «faire l’amour» avec son amie. La ligne à grande vitesse (LGV) est entourée de champs et surplombe l’horizon.

    A l’endroit où la route plonge sous la voie SNCF, il y a quatre lieux de stationnement possibles, deux de chaque côté de la LGV. Si la Mercedes s’est garée là, et les policiers suiveurs de l’autre côté de la voie, ils sont à quarante mètres tout au plus. Qu’ont-ils vu ? «A 4 heures 5 minutes, une approche piétonne des lieux nous permet de constater la présence du véhicule stationné tous feux éteints sur l’entrée de la voie de service, sise quelques mètres avant le pont de chemin de fer, indique sur procès-verbal le lieutenant de la SDAT. Il nous est impossible de distinguer si le véhicule est occupé ou non.» Un quart d’heure plus tard, la voiture repart. Les policiers semblent n’avoir rien observé.

    Pourtant, un gendarme, le lieutenant-colonel Eric G., chargé des constatations le jour des faits, dresse un procès-verbal contradictoire. Il note qu’un officier de police de la SDAT lui a déclaré dans la journée au téléphone «avoir suivi et observé un individu qui s’est stationné à l’intersection entre la D23 et la LGV Est pendant une vingtaine de minutes entre 4 heures et 4 heures 20». Mieux : «Cette personne a accédé à l’emprise sécurisée de la SNCF sans qu’il [le policier] puisse déceler ses agissements.» Cette déclaration, faite alors que les sabotages font déjà l’actualité des radios, ne sera pas été réitérée.

    L’avis des avocatsSi un individu - et pas un fantôme - avait été vu vers 4 heures du matin sur la voie ferrée à l’endroit du sabotage, cela constituerait un lien objectif entre la voiture des mis en examen et les faits. […] Le fait de ne pas mentionner cette information essentielle» est «de nature à faire douter de l’authenticité [du procès-verbal de police]

 

    le cafouillage sur la découverte de l’incident

    Après le départ de la voiture, les policiers de la SDAT auraient procédé à une «minutieuse recherche aux abords immédiats de la voie ferrée et du pont de chemin de fer», sans rien trouver. Ils seraient restés sur place trois quarts d’heure. «A 5 heures 10 minutes, constatons le passage sur la voie ferrée d’un TGV. Lorsque le train passe à l’aplomb exact du pont de chemin de fer se produit une gerbe d’étincelles accompagnée d’un grand bruit sec. Voyons la caténaire se détendre puis se retendre. Le train semble poursuivre son cheminement sans encombre.» Selon leur procès-verbal, les policiers demandent à leur état-major «d’aviser immédiatement les responsables de la SNCF». Mais ils quittent les lieux, attitude curieuse s’ils ont été témoins des faits. A 5 h 50, ils «donnent instruction» à l’équipe qui a continué la filature jusqu’au périphérique de «regagner le service». La SDAT ne semble prévenir personne immédiatement.

    De son côté, le conducteur du TGV d’ouverture de la ligne a «constaté un incident du pantographe» à 5 h 12. C’est à 8 h 22 que les services de la SNCF remarquent à Strasbourg un pendule [élément de fixation de la caténaire, ndlr] resté accroché sur le pantographe du train. A 10 h 36, les agents de maintenance sont prévenus. Et Patrick C., qui reçoit l’appel, est déjà sur la voie. Il est sorti vers 9 h 10 pour un TGV stoppé par un chevreuil… C’est donc lui qui arrive sur place à 11 h 46 seulement. Il constate que huit pendules sont décrochés, et un cassé, sur dix mètres.

    Dans la journée, les gendarmes découvrent que la police ferroviaire aurait appelé le central de sûreté vers 10 heures pour l’avertir d’un appel de l’officier de permanence de la police judiciaire à 7 h 50. «Une équipe PJ, en mission de surveillance», aurait «vu un individu piéton qui se trouvait sur la LGV à l’intérieur des emprises SNCF». Le commandement de surveillance SNCF se tourne vers le responsable de la régulation de la LGV Est. L’appel est enregistré vers 10 heures.

    «- Je t’appelle, j’ai la police qui nous a indiqué maintenant que vers 5 heures ce matin, il y aurait eu un équipage de la PJ qui aurait aperçu au niveau de Dhuisy […] une personne qui se serait avancée sur le pont, je pense qu’elle n’a rien jeté, parce que sinon on s’en serait rendu compte. C’est juste pour signaler ça, quoi : une personne a fait un aller-retour sur le pont et après, ils ont perdu la personne.

    - Ben là, écoute, je ne suis pas du tout au courant, mais vraiment pas du tout ! Ça c’est passé à 5 heures ?

    - Ouais, à 5 heures ! Il est temps qu’ils se réveillent, ils nous appellent cinq heures après, mais bon…»

    L’avis des avocatsLe signalement a été donné au plus tôt à 7 h 50 et plus vraisemblablement vers 10 heures. Les circonstances qui ont entouré le signalement de l’incident aux techniciens de la SNCF suscitent également de nombreuses interrogations. […] La PJ a tardé, sans raison connue, à informer les responsables de la SNCF

Karl Laske, dans Libération du 2 novembre 2009

18 août 2009

Fête des Partisans, à Tarnac

Affiche_f_te_des_partisansblog

PROGRAMME

vendredi 21.8 :

20h projection, "OFF THE PIGS"

samedi 22.8 :

14h discussion, "la fonction culturelle de l’antiterrorisme"

19h repas

21h concert, "VIALCA" et "THE DREAMS"

dimanche 23.8 :

Le long du dimanche, horaires selon l’inspiration du musicien : Rock à l’orgue de barbarie (sex pistols, trust...)

14h discussion, "habiter l’état d’exception"

17h spectacle d’après "matin brun" de Franck Pavloff

19h spectacle, "GIGN" - carnage productions

20h repas

21h bal electro

et les 28, 29 et 30.8 :

concert, "FANTAZIO"

concert, "HIGH TONE"

discussion sur l’enfermement

10 août 2009

"L'affaire de Tarnac" continue en allemagne

"Deux autonomes berlinois et une autre de Hambourg avaient reçu des invitations à comparaître en tant que témoins, respectivement les 16 et 17 juillet, dans l’affaire dite de « Tarnac ». Ils étaient invités à témoigner contre neuf camarades (les neuf de Tarnac) dans le cadre d’un complément d’enquête du tribunal de grande instance de Paris. En novembre 2008, neuf personnes avaient été arrêtées en France sur la base des lois antiterroristes après des actions de sabotages du réseau ferroviaire lors d’un transport de déchets nucléaires et en plein pendant une grève des cheminots français."

     Des manifestations étaient organisées à Berlin et Hambourg à l’occasion de ces invitations à comparaître. À Berlin, la cinquantaine de personnes qui s’étaient réunies devant l’ambassade de France ont eu la surprise de voir débarquer un singe jaune et fringant, de la taille d’un homme — un oran-outang —, une pancarte contre le transport de déchets nucléaires fixée sur le derrière. Celui-ci se joignit à la manifestation et d’une voix manifestement féminine, prit la parole. Un quart d’heure plus tard, alors qu’il s’apprêtait à quitter la manifestation, le singe fut arrêté. Le lecteur avisé s’en doutait peut-être : sous le déguisement se dissimulait l’un des témoins. Elle fut emmenée au siège de la police judiciaire régionale de Tempelhof où elle fut détenue durant plusieurs heures. Les participants à la manifestation prirent le même chemin pour soutenir les personnes qui devaient être auditionnées.

    En vertu du §55 du code pénal, le second témoin refusa de répondre aux questions du juge et fut libéré vers 16 heures sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. La personne arrêtée pendant la manifestation devait alors être entendue.

     Les deux juges allemands et les quatre juges français ont eu la surprise de la découvrir dans son costume de singe. Elle ne portait sous cet accoutrement que des sous-vêtements et les fonctionnaires préféraient encore un témoin au pelage jaune et ébouriffé qu’à moitié nue. C’est dans cette tenue qu’elle fit face durant deux heures aux juges ébahis et qu’elle refusa de faire toute déclaration.

    Tel est le récit d’une action réussie pouvant servir d’exemple quant au refus de se rendre à une convocation judiciaire. Il convient toujours de donner une réponse appropriée au théâtre étatique.

Allocutions prononcées lors du rassemblement devant l’ambassade de France :

     Mafia atomique franco-allemande : couper la liaison !!!

    Les pannes à répétition dans la centrale nucléaire de Krümmel soulignent aujourd’hui dans la presse ce qui est évident depuis des décennies pour le mouvement anti-nucléaire allemand et français : l’énergie atomique n’est pas contrôlable ! Le combat contre l’utilisation de l’énergie atomique, contre la construction de centrales nucléaires et l’exploitation d’uranium (au Canada par exemple), combat mené à de nombreux niveaux et par différents moyens, est un combat contre une technologie dangereuse pour la vie.

    La politique énergétique nucléaire au niveau international. La coopération franco-allemande en matière d’énergie nucléaire se distingue par une très longue tradition. C’est dans l’usine de retraitement de La Hague que sont conditionnés depuis les années 70 les déchets atomiques allemands avant leur transport par Castor jusqu’à Gorleben. Cela fait également trente ans que le groupe Siemens mène une collaboration étroite avec des groupes industriels français pour le développement et la construction de centrales nucléaires. L’entreprise d’État française EDF est l’actionnaire principal de EnBW, entreprise basée dans le sud de l’Allemagne et gérant plusieurs centrales nucléaires.

    Malgré de nombreuses pannes et accidents dans les centrales françaises, comme celles de Tricastin l’année dernière, ou celles de Krümmel près de Hambourg en ce moment, les groupes industriels et les gouvernements entendent poursuivre coûte que coûte et même étendre l’utilisation de l’énergie atomique bien que celle-ci soit dangereuse. Ainsi, le groupe nucléaire français Areva construit en France et en Chine de nouveaux réacteurs, le groupe allemand EON en construit en Finlande, tandis que RWE est responsable de la construction d’un modèle russe en Bulgarie. Dans ce cadre, la sécurité de la population est secondaire. La priorité des capitalistes va à la sécurisation de leurs profits : les Allemands construisent en Bulgarie un réacteur situé dans une région présentant d’importants risques sismiques. Depuis des décennies, toutes sortes de matières radioactives et toxiques sont déversées dans le site dit d’« enfouissement » de Asse, alors qu’il est de notoriété publique que des infiltrations d’eau le rendent complètement inapproprié à un tel usage.

    Dans le cas de la Bulgarie comme d’Asse, il est clair comme de l’eau de roche que les hommes et les femmes politiques et les scientifiques de l’industrie nucléaire ont été achetés. Et ce business vaut le coût pour la mafia nucléaire franco-allemande : rien que pour la poursuite de l’exploitation des 17 centrales nucléaires allemandes, les quatre groupes allemands du secteur de l’énergie tablent sur un profit de plus de 200 milliards d’euros. Pour y parvenir, l’industrie nucléaire, partout dans le monde, fait peu de cas des vies humaines. Pourtant, ce n’est pas cette énergie criminelle des groupes industriels qui est poursuivie par la justice franco-allemande. Non, au lieu de cela on criminalise des personnes parce que quelques crochets ont été jetés sur les lignes à haute tension du réseau ferré pour stopper enfin cette folie de la mafia nucléaire.

    La résistance internationale pousse les autorités hors du bois.

    En novembre dernier, alors que des déchets nucléaires allemands étaient convoyés par conteneurs de type castor depuis la France jusqu’à Gorleben en Basse-Saxe, des actions de protestation et de résistance ont eu lieu en France et en Allemagne. De nombreuses manifestations, des actions de blocages des voies ferrées et de sabotage des lignes ferroviaires en Allemagne et en France ont occasionné des dommages s’élevant à plusieurs millions d’euros. Plus d’un millier de trains ont été retardés. Ce n’est que grâce à un encadrement policier au coût exorbitant, et après plus de vingt heures de retard par rapport à l’itinéraire prévu, que le convoi a pu atteindre le site de stockage intermédiaire de Gorleben — site qui n’est rien d’autre qu’une grange à pommes de terre bien aérée.

    Côté allemand, des installations signalétiques avaient été mises hors d’usage. En France, des actions de sabotage des lignes à haute vitesse ont semé le chaos dans la circulation du week-end à la SNCF. Plusieurs trains ont dû s’arrêter, plus d’un millier ont connu des retards. À l’origine de cela, deux crochets suspendus à la ligne à haute tension séparant le trolley de l’alimentation électrique au passage du train. Dans un communiqué rédigé en allemand et envoyé notamment au journal Taz, les actions dans les deux pays sont expliquées de la manière suivante : « Parce que nous en avons assez, nous avons au petit matin dirigé notre colère contre le réseau de transport de déchets nucléaires ». Peu après, une grande vague de perquisitions et d’arrestations est menée dans le petit village de Tarnac et dans d’autres endroits. Neuf personnes sont arrêtées, certaines d’entre elles sont maintenues pendant des mois en détention provisoire.

    Les autorités françaises et une partie des médias parlent sans aucune retenue de terrorisme et établissent un lien avec les enquêtes contre une soi-disant « mouvance anarcho-autonome », label sous lequel il avait été procédé à de nombreuses arrestations en France depuis janvier 2008. À l’origine, des actions contre les centres de rétention, la participation aux mouvements d’opposition à la réforme de l’éducation — très forts en France — ainsi qu’aux manifestations consécutives à l’élection présidentielle. Dans ce contexte, un petit livre dont l’un des inculpés est soupçonné d’être co-auteur a aussi semé l’émoi. Intitulée L’insurrection qui vient, cette œuvre parle de rébellion contre un présent aussi irréel que désolant et lance un appel à se préparer concrètement à une révolte imminente. Les autorités réagissent à ce livre avec beaucoup de nervosité. Elles tirent le signal d’alarme quand des hommes et des femmes créent des réseaux internationaux pour s’opposer à la folie atomique, climatique et capitaliste avec tout ce qu’elle impose. Ce que nous considérons comme pure nécessité, la partie adverse l’appelle en choisissant ses mots « terrorisme », « Internationale de la révolte » ou actions de brutaux casseurs.

    En Italie aussi, peu avant le sommet du G8 des tenants du pouvoir résolus à décider entre eux de la politique mondiale, deux camarades ont été incarcérés pour tentatives de sabotage des lignes ferroviaires avec des crochets. Eux aussi sont soupçonnés d’appartenir avec 35 autres personnes à une « Internationale de la révolte ». Nous les saluons ainsi que tous ceux qui ne veulent laisser aucun répit !

    L’enquête en France se poursuit. Toutes les personnes concernées ont été relâchées — tout en restant soumises à des obligations très strictes comme l’interdiction d’avoir des contacts entre elles, des assignations à résidence etc. — ou elles s’étaient soustraites à leur arrestation. La tenue d’un procès n’est pas encore fixée.

    L’amitié franco-allemande contre les enquêtes franco-allemandes.

    Pour ce qui est de l’affaire de Tarnac et des actions de sabotages contre les lignes ferroviaires pendant le transport par Castor, les autorités françaises saisies de l’enquête entendent manifestement poursuivre leurs investigations en Allemagne. Deux autonomes berlinois ont reçu les invitations d’un juge à être entendus ici comme témoins dans le cadre d’un complément d’enquête venant de France. Un rapport de la police anti-terroriste française sur l’affaire de Tarnac du début de l’année mentionnait déjà ces deux personnes. Le passage correspondant évoque la pratique largement répandue en Allemagne de sabotage des transports de déchets nucléaires à l’aide de crochets. Les autorités allemandes ont informé leurs collègues français d’une procédure d’enquête baptisée « les crochets dorés » et levée depuis longtemps, procédure incriminant entre autres les deux personnes invitées à être entendues aujourd’hui. Une autre personne doit être prochainement entendue à Hambourg. Les deux militants anti-nucléaires de Berlin ne feront aucune déclaration. Ils ne souhaitent fournir aux autorités aucune information que ce soit pour l’enquête contre la résistance anti-nucléaire et contre ceux que l’on érige en mouvement criminel parce qu’ils s’engagent contre une politique criminelle. Nous vous invitons au contraire à accompagner les deux personnes au tribunal de Tempelhofer Damm. Nous nous saisissons de l’occasion qui ne nous est pas librement offerte pour faire part en ce jour d’invitation judiciaire, depuis un Berlin encore bien trop calme, de notre solidarité avec les camarades de Tarnac.

    Montrer les griffes au système – ici, là et ailleurs : ils ne passeront pas ! Notre solidarité contre la répression ! Nos luttes contre leur politique ! Solidarité !

berlin_le_singe_en_jauneblogCe que le singe a dit avant son arrestation :

    « Je suis ce que je suis » — telle est la dernière offre de la publicité au monde. Des décennies de développement pour en arriver là où nous sommes. Une pure tautologie. « Je suis ce que je suis. » Mon corps m’appartient. Je suis moi, et tu es toi, et quelque chose ne va pas.

    Quelle que soit la perspective sous laquelle on l’envisage, le présent n’offre aucune issue. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les choses ne peuvent qu’empirer. « L’avenir n’a pas d’avenir », telle est la sagesse d’une époque qui, dans sa normalité parfaite, atteint le niveau de conscience des premiers punks. Enfin !

    Nous sommes ici aux côtés de nos amiEs dont l’État français, sous le label de « mouvance anarcho-autonome », veut la peau. Et deux d’entre nous devraient les y aider ? En tant que témoins ? Mais ils ne vont pas bien ! Jamais ! Nous sommes ici devant l’ambassade parce que nous avons un message à transmettre : pas à l’État, pas à la justice. À nos amiEs et à tous ceux qui se sentent reliés à eux. Ce qui nous relie, c’est de ne pas nous adresser à la politique dominante, de ne pas la critiquer, de ne vouloir l’aider d’aucune manière à s’améliorer. Nous voulons l’abolir et avec elle, toute l’administration destructrice du monde, parce c’est notre vie, et que nous allons la reconquérir.

    Comme nos amiEs, nous nous en tenons à ce que tous savent et dont personne ne souhaite vraiment parler — que cela ne CONTINUERA pas comme cela, que cet ordre mondial basé depuis 500 ans sur le meurtre et le pillage de l’humanité et de la nature fonce droit dans le mur : économiquement, écologiquement, socialement, mentalement, c’est-à-dire à tous les niveaux.

    On ne peut plus continuer à s’agiter, à produire des preuves. Les preuves elles-mêmes sont depuis longtemps une marchandise, une fin en soi préservant le système, une stratégie d’évitement de toute conséquence logique et éthique. Avec les médias révélant sans cesse les mêmes terribles destins et un public sans cesse capable de faire comme s’il découvrait pour la première fois l’horreur des noyades des réfugiés, des villes bombardées, de la catastrophe climatique — pour affoler brièvement, s’assurer de la fatalité de la situation et de sa propre impuissance, avant de retourner en toute quiétude à leurs affaires — personne ne doute plus sérieusement que ceci ne sera plus possible bien longtemps. Ça va péter !

    Ça va péter !

    Et tout à coup, il y a à nouveau des livres dangereux. L’un d’entre eux, L’insurrection qui vient, fait en ce moment l’objet d’une lecture attentive de la part des autorités sécuritaires françaises. Dans le bourbier réactionnaire des États-Unis, il soulève une indignation de premier ordre. Ces livres parlent de rupture avec l’ambiance apocalyptique quotidienne de la modernité finissante et du combat pour notre vie. D’en finir avec l’activisme poussif de la gauche traditionnelle et plus loin, de commencer aujourd’hui à se révolter.

    L’insurrection qui vient commence par les castrations nous maintenant dans le chœur de ceux qui s’époumonent d’autant plus haut dans les aigus sur le psaume de « There is no alternative », que tout le blabla insensé sur la valorisation craque de toute part sans qu’on ne l’entende et que des voix enfin claires sont audibles dans la rue. Il ne persiste pas dans sa représentation de la misère. S’il la décrit, c’est au contraire pour nous permettre de nous y reconnaître nous-même, d’y reconnaître nos propres expériences et notre égarement. Il ne s’agit pas d’une explication mais de résonance. De se trouver et de développer une langue commune qui ne soit pas plus longtemps compatible avec le commando. Quiconque se retrouve dans le vide décrit, dans le déchirement et la désolation, et souhaite en finir avec cela, est invité à continuer à réfléchir à la manière de venir à bout de la misère.

    L’insurrection qui vient constitue une proposition stratégique pratique. Il prend pour cible la fragilité interne du régime, fragilité dissimulée par toutes les forces du pouvoir. Malgré une stabilité toute apparente, celui-ci continue en effet à dépendre aujourd’hui comme hier de la motivation des travailleurs et de ce qu’aucune clé à écrous ne tombe dans ses rouages. Sa vulnérabilité à ce niveau a encore cru ces dernières années. Elle réside dans les cadences élevées de la production just-in-time, des réseaux d’énergie et de transport, des flux d’information.

    Il s’agit de reconnaître sa propre force dans les faiblesses de l’adversaire, de réfléchir aux possibilités de se soustraire à cet appareil en roue libre afin de s’engager ensemble pour quelque chose de meilleur. Pour créer des liens entre bandes combatives se gardant de reproduire les erreurs du passé : elles savent la nécessité pour la préparation d’actes de sabotage de construire des structures propres. Parce que les supermarchés ne pourront être pillés qu’aussi longtemps qu’il y a encore quelque chose à l’intérieur, la carotte est nécessaire autant que le poing, le combat contre l’existant doit s’accompagner de la recherche pratique d’un tout radicalement autre. Des bandes combatives reconnaissant dans la liberté des uns la colonne vertébrale des groupes — et réciproquement.

    Des groupes se reliant les uns aux autres, qui veulent tout absolument au même moment et refusent clairement tout atermoiement. Reconnaître pour condition le fait que nous vivons au cœur d’une guerre sociale globale dans laquelle nous devons prendre position d’une façon ou d’une autre. Alors pourquoi ne pas oser un nouveau départ, ne pas tenter d’organiser notre vivre ensemble sur cette planète de façon à ce que chacun en retire quelque chose ? Plus sérieusement : y-a-t il encore un quelconque argument en faveur de la conservation de l’expérience ratée du capitalisme ?

    Comparé à la détermination avec laquelle les communautés indiennes bloquent les voleurs de ressources naturelles au Pérou, comparé à la froide menace des ouvriers français de faire sauter leur entreprise en faillite s’il n’obtiennent pas quelques ronds pour la suite de la vie, comparé au réalisme d’émeutes dépourvues de revendications et pas seulement celles de la jeunesse pauvre de la métropole, comparé à tous ces managers de crises de l’Empire avec leurs sèches paroles d’encouragement déjà dépassées aujourd’hui tels les porteurs de perruques poudrés de l’ancien régime — on ne peut que déplorer qu’ils soient aussi bien armés.

    Pourtant, l’insurrection qui vient est peut-être la moins sanglante de toutes les possibilités envisageables…

28 juillet 2009

Hausse vertigineuse des écoutes téléphoniques

    Les écoutes téléphoniques pratiquées en France à la demande des magistrats ont été multipliées par plus de quatre depuis 2001, mais le chiffre reste encore loin de ceux d'autres pays de l'Europe de l'Ouest.

    Selon une étude universitaire dont rend compte Le Figaro dans son édition de mardi 28 juillet, disponible dès lundi sur le site internet du quotidien, les interceptions téléphoniques judiciaires ont augmenté de 440 % entre 2001 et 2008, passant de 5 845 en 2001 à 26 000 en 2008. "De quoi grever le budget de la Chancellerie", souligne le quotidien : les opérateurs et leurs prestataires facturent 497 euros hors taxes chaque interception sur une ligne fixe, et 88 euros hors taxes celles sur un téléphone mobile.

    Sur le même sujet Il convient d'ajouter à ces écoutes demandées par les magistrats les 5 906 écoutes judiciaires dites "administratives" effectuées pour la seule année 2008. Ces dernières sont pratiquées par divers services de renseignement - la DGSE, la DCRI (contre-espionnage) ou encore la Direction nationale de recherches des enquêtes douanières (DNRED) - sans feu vert de la justice. "Leur objectif vise à détecter toute atteinte à la sécurité nationale, à prévenir les visées terroristes ou certaines affaires d'intelligence économique", précise Le Figaro. L'étude souligne également que les services secrets interceptent de plus en plus souvent les échanges de mails.

    Soulignant que toutes ces interceptions ne font l'objet d'aucun contrôle émanant d'organisme indépendant, l'étude évoque une "menace pour la vie privée". Malgré cette hausse vertigineuse, la France demeure l'un des pays européens qui pratique le moins d'interceptions judiciaires - quinze fois moins que l'Italie, douze fois moins que les Pays-Bas et trois fois moins qu'en Allemagne.

Dans le Monde.fr du 28/07/09

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